« Qui veut la paix prépare la guerre » ? En voulant comprendre comment on peut vouloir la paix pour soi et pour les autres en faisant la guerre, j’ai eu la curiosité de savoir ce que dit saint Augustin à propos de la paix et de la guerre. En lisant le livre « Paix et guerre selon saint Augustin »(voir la présentation), je m’imaginais que j’allais trouver une citation qui contredit ce proverbe, où le Père de l’Église aurait dit: « Qui veut la paix prépare la paix. » Mais non, je ne l’ai pas trouvée. Au contraire, j’ai été surpris par l’affirmation de saint Augustin selon laquelle certaines guerres peuvent être justes. Quelle découverte! Comment un Père de l’Église peut-il défendre cela? Me suis-je demandé. N’aurait-il pas pu découvrir plutôt les moyens d’avoir la paix sans devoir recourir à la guerre, puisqu’on sait très bien que pendant la guerre il n’y a pas de paix? En poursuivant la lecture, j’ai trouvé cette phrase: « les guerres ont un fait, une réalité humaine; il s’agit d’y limiter le déchaînement du mal. » C’est-à-dire que le risque des guerres existe toujours. Je commençais alors à trouver un peu d’explication.
J’ai ensuite appris que la doctrine de saint Augustin donne des conditions pour qualifier une guerre de juste et qu’elle a non seulement inspiré l’Église catholique mais aussi la politique internationale. En effet, dans son chapitre consacré à la sauvegarde de la paix (art. 2302 à 2317), on peut voir que le Catéchisme de l’église catholique, en décrivant les conditions d’une légitime défense par la force militaire (1), s’est inspiré de celles de la guerre juste énoncées par saint Augustin (2), tout en les actualisant. Mais avant d’énoncer ces conditions, l’Église donne cette recommandation: « Chacun des citoyens et des gouvernants est tenu d’œuvrer pour éviter les guerres. Aussi longtemps cependant que le risque de guerre subsistera, qu’il n’y aura pas d’autorité internationale compétente et disposant de forces suffisantes, on ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les possibilités de règlement pacifiques, le droit de légitime défense » (art 2308). Cela va aussi dans le sens de la Charte des Nations Unies qui prévoit que la guerre doit être à priori évitée avant d’être et n’être menée que par nécessitée impérieuse, spécialement aux articles 33 à 51 sur le chapitre 6 « Règlement pacifique des différends » et le chapitre 7 « actions en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression »(lire le texte). L’auteur du livre affirme d’ailleurs que « ces textes d’Augustin, qui sont à l’origine de la réflexion occidentale sur la paix et la guerre, se révèlent aujourd’hui d’une étonnante actualité ».
Cet article n’est pas un résumé de tout le livre, mais il donne uniquement un aperçu sur les textes à propos des deux discours de saint Augustin sur la paix et de son écrit sur les modalités et charte de la paix.
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Deux discours sur la paix
Saint Augustin ne parle pas seulement de la paix obtenue par la voie de la « guerre juste ». Il prône aussi la paix avec des moyens non violents, comme la prière et la justice.
A. Sermon 357 prononcé à Carthage en 411.
Dans ce Sermon, Augustin fait l’éloge de la paix. Qui se veut un ami de la paix se comporte en ami des ennemis de la paix, dit-il, et prend en pitié celui qui n’aime pas ce que tu aimes, qui ne possède pas ce que tu possèdes. Pour augmenter la paix, il faut la partager, dit-il: « la paix est comme ce pain qui, dans les mains des disciples du Seigneur, s’accroissait au fur et à mesure qu’il était rompu et distribué (cfr Mt 14, 19-20; Mc 8,6-8) ». Dans son discours, il appelle à la patience et à la prière en ces termes: si, d’aventure tu entends une insulte, supporte-là, fais la sourde oreille, passe dessus! Rappelle-toi qu’il faut soigner!…Tu te veux l’ami de la paix? Sois heureux dans ton cœur avec ta bien-aimé! …Élimine les disputes, tourne-toi vers la prière! Ne repousse pas avec des insultes celui qui t’insulte, mais prie pour lui! Je ne te dis pas de te taire; choisis plutôt en quel lieu tu parles, auprès de qui tu parles en silence, en fermant les lèvres et en laissant crier ton cœur! Là où il ne te voit pas, là, sois bon en sa faveur! C’est l’enseignement même de Jésus-Christ: aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent (Luc 6, 27-36 et Matt 5, 38-48; 7, 12a).
Saint Augustin dit que si nous voulons aimer la paix, il faut nous rappeler que nous sommes des frères, même celui qui veut se quereller avec nous et qui nous déteste. Parce que ce dernier, lui aussi il dit comme nous: « Notre Père, qui es aux cieux » (Mt 6,9). Demandons donc à cette personne de reconnaître ce qu’elle dit avec nous et de condamner ce qu’elle fait contre nous. Puisque, nous formons un peuple de frères et sœurs en humanité, les enfants de Dieu, et que nous possédons une seule et même voix devant le Père, pourquoi ne possédons-nous pas une seule et même paix? En effet, il peut paraître insensé que les personnes qui se disent avoir un même Père qui leur veut la paix se fassent eux-mêmes la guerre.
B. Paix en Dieu, justice et paix
Dans ce discours, saint Augustin propose de vivre au quotidien cet appel intérieur à la paix: « j’écouterai ce que dit en moi le Seigneur Dieu, car il parle de paix en son peuple, au-dessus de ses saints et en ceux qui tournent leur cœur vers lui » (Ps 84,9) car la voix du Christ, la voix de Dieu, est la paix et nous appelle à la paix. « Que pouvez-vous trouver de ma part qui pour vous soit meilleur que la paix? » dit saint Augustin. Mais il ajoute qu’il ne peut y avoir de paix complète dans l’homme mortel. Et que pour avoir part à la paix parfaite et complète de Dieu dans la vie éternelle, il faut, comme le dit le même psaume, tourner le cœur vers le Seigneur.
En outre, quelqu’un qui veut posséder la paix doit faire la justice, car s’il n’aime pas la justice il ne possédera pas la paix. Il n’y a personne, en effet, qui ne veuille la paix, même le méchant, mais tous ne veulent pas mettre en œuvre la justice: ne vole pas, ne fait pas à autrui ce que tu ne veux pas subir, ne dis pas à autrui ce que toi-même ne veux pas qu’on te dise, … Si on veut aller vers la paix, il faut faire la justice, selon le Ps 33,15: « Écarte-toi du mal et fais le bien »; c’est-à-dire aimer la justice, »recherche la paix et poursuis-la! » Saint Augustin complète bien ce psaume en disant: « Car à ce moment-là, tu ne la rechercheras pas longtemps, parce qu’elle-même se présentera à toi, pour embrasser la justice ». On ne peut donc prétendre avoir la paix en Dieu sans faire la justice selon ses commandements.
2. Extraits du Traité sur la paix dans la Cité de Dieu. Modalités et charte sur la paix
Le Traité sur la paix dans la Cité de Dieu parle des modalités de la mise en œuvre de cette paix. Pour Augustin, l’humanité a le malheur d’être divisée par la différence des langues qui rend l’homme étranger à l’homme, car la ressemblance si forte de leur nature ne leur sert à rien. Pour ceux qui font les guerres, une fois que celles-ci sont terminées, la misère découlant des malheurs de ces guerres ne finit pas pour autant. Mais la paix reste la fin souhaitée par ceux qui font la guerre, selon le proverbe « Qui veut la paix prépare la guerre ». Tout homme en faisant la guerre recherche la paix mais personne ne cherche la guerre en faisant la paix. Car, ceux qui veulent cette guerre ne haïssent pas la paix mais désirent la transformer à leur gré. Les brigands, en s’attaquant violemment à la paix des autres, veulent avoir la paix à eux-mêmes et avec leurs collaborateurs. Et même quand les rebelles et les méchants mènent la guerre, ils veulent que leurs adversaires soient soumis pour leur imposer les lois de leur paix.
On comprend donc maintenant ce que signifient les mots « qui veut la paix » du proverbe cité plus haut. En réalité, il aurait été mieux de dire « qui veut sa paix » car il s’agit bien d’une paix qui n’est pas négociée par toutes les parties en conflit. C’est plutôt la paix qui profite à celui qui est le plus fort: le vainqueur. Mais, à mon avis, cela a été dit express pour que d’autres personnes puissent se rallier à la cause de la guerre, en leur faisant croire que les combattants leur trouveront la paix.
Le commandement de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain est une source de paix et de concorde. La paix de la famille se rapporte aussi à la paix de la cité car « le père de la famille emprunte à la loi de la cité les règles par lesquelles il gouverne sa maison, pour qu’elle soit accordée avec la paix de la cité », dit saint Augustin. Parlant du rapport de la justice avec la religion, le Père de l’Église affirme que là où l’homme n’est pas au service de Dieu, on ne pourrait pas penser qu’il y a justice en lui car l’âme ne peut exercer un juste commandement sur son corps, ni la raison humaine sur les vices.
Charte de la paix, selon saint Augustin (pages 153-154 du livre)
« La paix du corps est un ajustement ordonné de ses parties.
La paix de l’âme sans raison est un repos ordonné de ses appétits.
La paix de l’âme raisonnable est un accord ordonné de la connaissance et de l’action.
La paix du corps et de l’âme est une vie et une santé ordonnées de l’être animé.
La paix de l’homme mortel avec Dieu est une obéissance ordonnée, dans la foi, sous la loi éternelle.
La paix des hommes est une concorde ordonnée.
La paix de la maison est une concorde ordonnée de ceux qui habitent ensemble, dans le commandement et l’obéissance.
La paix de la cité est une concorde ordonnée des citoyens, dans le commandement et l’obéissance.
La paix de la cité céleste est une communauté parfaitement ordonnée et concordante dans la jouissance de Dieu et dans la jouissance mutuelle en Dieu.
La paix de toutes choses est la tranquillité de l’ordre.
L’ordre est la disposition qui attribue à chacun des êtres semblables et dissemblables la place qui lui est propre. »
En conclusion, saint Augustin dit que la paix des iniques, comparée à la paix des justes, ne doit pas être appelée une paix. C’est une paix injuste. C’est pourquoi, à celui ou celle qui veut avoir une juste paix, le Guide de la Réconciliation pour la Paix propose plutôt le proverbe:
« Qui veut sa paix cherche aussi la paix des autres ».
Nicole: La paix sur Terre
Annexes:
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Catéchisme de l’Église catholique: art. 2309
Il faut considérer avec rigueur les strictes conditions d’une légitime défense par la force militaire. La gravité d’une telle décision la soumet à des conditions rigoureuses de légitimité morale. Il faut à la fois :
(1) Que le dommage infligé par l’agresseur à la nation ou à la communauté des nations soit durable, grave et certain.
(2) Que tous les autres moyens d’y mettre fin se soient révélés impraticables ou inefficaces.
(3) Que soient réunies les conditions sérieuses de succès.
(4) Que l’emploi des armes n’entraîne pas des maux et des désordres plus graves que le mal à éliminer. La puissance des moyens modernes de destruction pèse très lourdement dans l’appréciation de cette condition.
Ce sont les éléments traditionnels énumérés dans la doctrine dite de la « guerre juste ». L’appréciation de ces conditions de légitimité morale appartient au jugement de ceux qui ont la charge du bien commun.
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Les conditions qui semblent être posées par saint Augustin pour justifier une guerre juste sont les suivantes:
(1) La guerre préventive pour protéger le faible du méchant peut être un devoir.
(2) La guerre pour imposer la foi est interdite.
(3) Il ne faut pas être l’agresseur.
(4) La guerre ne peut être civile.
(5) La décision de l’engager revient à la seule autorité publique.
(6) Le droit doit être moralement certain.
(7) La guerre doit être menée dans une intention droite.
(8) Une éthique de et à la guerre doit exister.
(9) Il faut rechercher avant tout la paix.
(10) Il ne faut pas mener une guerre aventureuse.
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Le Guide