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Bernardin Muzungu: le préjugé de race

Article 2 de la Déclaration de l’UNESCO du 27 novembre 1978 sur la race et les préjugés raciaux

1. Toute théorie faisant état de la supériorité ou de l’infériorité intrinsèque de groupes raciaux ou ethniques qui donnerait aux uns le droit de dominer ou d’éliminer les autres, inférieurs présumés, ou fondant des jugements de valeur sur une différence raciale, est sans fondement scientifique et contraire aux principes moraux et éthiques de l’humanité.

2. Le racisme englobe les idéologies racistes, les attitudes fondées sur les préjugés raciaux, les comportements discriminatoires, les dispositions structurelles et les pratiques institutionnalisées qui provoquent l’inégalité raciale, ainsi que l’idée fallacieuse que les relations discriminatoires entre groupes sont moralement et scientifiquement justifiables; il se manifeste par des dispositions législatives ou réglementaires et par des pratiques discriminatoires, ainsi que par des croyances et des actes antisociaux; il entrave le développement de ses victimes, pervertit ceux qui le mettent en pratique, divise les nations au sein d’elles mêmes, constitue un obstacle à la coopération internationale, et crée des tensions politiques entre les peuples; il est contraire aux principes fondamentaux du droit international et, par conséquent, il trouble gravement la paix et la sécurité internationales.

3. Le préjugé racial, historiquement lié aux inégalités de pouvoir, se renforçant en raison des différences économiques et sociales entre les individus et les groupes humains, et visant encore aujourd’hui à justifier de telles inégalités, est totalement injustifié. 

 

« Il est plus facile de briser un atome que de briser un préjugé »  Albert EINSTEIN

INTRODUCTION

Au Rwanda, avant la colonisation, les Tutsi et les Hutu existaient mais cela n’était pas un problème. Aujourd’hui, c’est le problème numéro un. La colonisation de notre pays par l’homme blanc a introduit dans la relation entre nos deux groupes sociaux son « préjugé de race » qui est devenu maintenant une véritable idéologie politique. Le colonisateur n’a pas inventé sur place ce préjugé racial. Il l’a apporté dans ces bagages. Il l’a vécu chez lui avant de l’exposer chez nous. Dans cette réflexion, nous allons résumer l’histoire de ce phénomène. Nous suivrons un plan très simple: 1/ l’origine des préjugés en général ; 2/ le préjugé de race en particulier ; 3/ le préjugé de l’ethnisme au Rwanda.

I. L’ORIGINE DE TOUT PREJUGE

Le terme « pré-jugé » est un concept clair. C’est un jugement adopté sans examen par généralisation hâtive d’une expérience personnelle ou imposée par le milieu, l’éducation (Le petit Larousse).

Tout « pré-jugé » se base sur deux principaux facteurs : la différence et l’inégalité entre des individus ou des groupes qui vivent ensemble.

I.1 La différence

Pour vérifier ce critère, suivons la méthode inductive et prenons un exemple : le pré-jugé de sexe. La majorité des cultures – hormis sans doute les traditions matriarcales – considère le sexe masculin. Apparemment, la première raison de ce préjugé est le fait de la différence entre les deux sexes. Le fait est inné et s’impose. Il conditionne les rapports entre les deux groupes humains. La différence des sexes est non seulement une valeur positive mais elle est nécessaire pour la vie humaine, pour son équilibre et pour la propagation de l’espèce.

I.2 L’inégalité

De la différence, on en est venu à l’inégalité. Le sexe masculin est le sexe « fort » et l’autre est le sexe « faible ». Les deux partenaires semblent accepter de commun accord ce jugement.

Ce constat noté, on peut se poser la question du vrai fondement de ce pré-jugé si répandu et si facilement accepté même par les victimes ? Le mouvement pour l’émancipation de la femme rencontre encore des obstacles solides. Il y a, peut-être, un certain penchant naturel qui vient de l’égoïsme humain. Chaque personne ou chaque groupe essaie de se valoriser en rabaissant les autres différents de lui. Peut-être que dans la nature du sexe masculin, ce penchant est plus fort que chez la femme. Il y a sûrement un point obscur sur cette question dans la conscience de l’humanité.

Une évolution doit se faire pour avoir une attitude positive à l’égard de la dimension sexiste de l’humanité qui n’est complète qu’en bisexité. La tradition chrétienne donne à penser qu’il y a là aussi une séquelle du péché originel.

Ces deux critères – différence et inégalité – semblent constituer des fondements de tout pré-jugé sous forme de justification naturel et même religieuse. L’égoïsme de la partie qui dispose d’une réelle supériorité physique, économique ou militaire, impose le point de vue de ses intérêts. Nous allons réexaminer cette tentative d’explication dans le cas du pré-jugé de race.

II. LE PRE-JUGE DE RACE

L’idée que les races ne sont pas égales semble être le pré-jugé répandu dans toutes les cultures. Deux catégories nous offrent une référence exemplaire : les peuples dits  « primitifs » et les peuples dits « purs » ou « nobles ».

II.1 Les peuples « primitifs »

Il n’est pas nécessaires de faire œuvre d’érudition pour expliquer en quoi consiste ce pré-jugé de race. L’anthropologie physique dans les deux branches de la paléontologie (étude de l’homme fossile) et de la somatologie (étude des races) est une discipline scientifique bien connue. Des ouvrages nombreux et valables en cette discipline existent. Pour ce qui est de notre sujet, on peut citer un auteur célèbre en son genre : Lucien Lévi-Bruhl et son ouvrage « la mentalité primitive » (Parsi, Alcan, 1922).

Cet auteur, a vulgarisé un mode de pensée du monde occidental, éduqué au conceptualisme grec, au rationalisme de Descartes et au positivisme de Comte. Cette conception, affrontée à celle des autres peuples de cultures différentes, a cru rencontrer un mode de pensée « pré-logique ». Comme le définit très justement l’un de ses théoriciens, « la mentalité primitive ou prélogique est le niveau de rationalité le plus bas, en dessous duquel on ne peut descendre sans choir dans l’animalité ».

Un autre célèbre théoricien de ce pré-jugé de races, parmi tant d’autres, est Joseph-Arthur Gobinau qui a écrit un livre bien significatif : « Essai sur l’inégalité des races humaines » (Paris, 18953-1855). Nous reviendrons sur ces théories de races. Nous estimons inutile, toutefois, de prouver l’identité de nature entre tous les humains et de montrer que, à l’origine, les différences superficielles sont venues de l’environnement spatio-temporel et d’autres facteurs externes comme l’alimentation.

Il est sûr que c’est ce pré-jugé des « peuples primitifs », qui tamise le fond des théories coloniales sur l’infériorité des « Nègres, des Hommes de couleur ». Voilà pourquoi les colonisateurs et les missionnaires venus de l’occident se sentaient en mission de « civilisation ». Au Rwanda par exemple, ceux qui avaient suivi leur école étaient nommés des « évolués ». L’école anthropologique de l’« évolutionnisme » avait enseigné à ces hérauts du monde civilisé qu’il y a possibilité de remplir cette mission qui fait franchir trois étapes : la sauvagerie, la barbarie et la civilisation. L’homme civilisé étant, bien sûr, l’homme blanc. A ce propos, lisez, par exemple le « Traité des dégénérescences » de Georges Morel (Paris, 1935) ou « Le non-civilisé et nous », de R.Allier (Paris, 1928).

II.2 Les races « pures »

Le terme « race » viendrait de l’arabe « ras » qui signifie « tête, commencement »  (W.C.Boyd, Génétique et races humaines, Payot, Paris, p.185). Peu importe l’origine du mot, la réalité est facile à comprendre. Il s’agit d’un « postulat d’après lequel il y a eu des races pures primitives qui sont à l’origine des populations modernes » (op.cit., p.189). De vrais historiens et anthropologues savent que les races humaines primitives sont inexistantes aujourd’hui après des centaines de milliers d’années de migrations dans toutes les directions qui ont provoqué un brassage génétique généralisé dans toute l’humanité.

1/ Le légende biblique

Comme d’aucuns le disent, cette obsession de races pures cherche un appui dans l’histoire biblique de Noé, sauvé du Déluge (Gn6, 5-8), qui aurait détruit toute l’humanité. Les seuls rescapés seraient Noé et ses trois fils Sem, Cham et Japhet (Gn 9,18-19). Les fameuses races primitives pures seraient les premiers descendants de ces trois fils de Noé. De Sem les Jaunes, de Cham les Noirs, de Japhet les Blancs. De plus, Cham fut maudit pour avoir regardé la nudité de son père ivre (Gn, 9,25). Nous lisons à ce sujet : « Lorsque Noé, ayant cuvé son vin, sut ce qu’avait fait son plus jeune fils. Il s’écria : « maudit soit Canaan (=Cham), qu’il soit le dernier des serviteurs de ses frères » (Gn9, 24). De là, réduire les Nègres en esclavage, on a la justification. Remarquez que le nom Noir (= visage brûlé » signifie en grec « Ethiopien » (Aithiops). Cette observation a une importance qu’on verra ultérieurement.

2/ La supériorité technologique de l’Occident

La recherche des races originaires, pures de tout mélange n’avait même pas besoin de cette histoire biblique pour avoir de quoi alimenter le pré-jugé de race supérieure aux autres. Le développement technologique de l’occident qui lui procura une supériorité économique et militaire suffisait. C’est elle qui a permis d’imposer aux autres peuples l’esclavage et la colonisation. L’histoire biblique des fils de Noé ne fut qu’un prétexte ou un coup de pousse.

3/ La théorie typique du pré-jugé de races

L’application typique de ce pré-jugé est celle de la race des « nobles aryens ». Le terme « arya », en sanskrit, signifie justement : « Les nobles ». Parmi les théoriciens de ce racisme, en plus de Gobineau qu’on vient de signaler, il y a eu d’autres. Citons, par exemple, l’anglais Houston Stewart Chamberlain qui a écrit en Allemagne « l’un des livres les plus sots, dit Boyd, qu’on ait jamais consacrés à ce sujet » (op.cit., p.16). Ce livre se nomme : The Foundation of the Nineteenth Century, (J.Lane Co., New York, 1894). Ce sont ces écrits qui ont fourni l’inspiration au « Mein Kampf » d’Aldoph Hitler (Raynal et Hitchcok, New york, 1940) ; laquelle inspiration a engendré la théorie du nazisme allemand. Comment ne penser, à ce propos, au livre du père Léon Délmas :  « Généalogies de la noblesse (les Batutsi) du Rwanda » (Kabgayi, 1950).

Gobineau expliquait sa théorie en ces termes : « Une société n’est grande et brillante que dans la mesure où elle préserve le sang des groupements nobles qui l’ont formée, pourvu que ce groupe lui-même appartienne à la plus illustre branche de notre espèce. Il n’existe pas, parmi les peuples européens, de civilisation véritable dans laquelle la branche aryenne ne soit prééminente » (op.cit., p.16).

De ce qui précède, nous comprenons ce que veut dire : pré-jugé de race. Il a été formé surtout dans le monde européen qui avait atteint un niveau de développement technologique supérieur à celui des autres continents. C’est cette supériorité qui a permis la supériorité économique et militaire. Alors l’explication de cette supériorité a été attribuée à la qualité spécifique de la race blanche dont la composante éminente est le noble famille « aryenne » dont Hitler fut le plus illustre défenseur. C’est à ce titre que des millions de Juifs furent massacrés. Voyons maintenant comme ce pré-jugé a été exporté et appliqué au Rwanda par la colonisation.

III. L’ETHNISME DU RWANDA

Le pré-jugé racial européen a pris, au Rwanda, la forme de l’ethnisme. Tout ce qui vient d’être dit sur ce racisme aryen a été transporté, presque à la lettre, dans la politique coloniale chez nous. Les Tutsi ont été compris comme une race, l’équivalent rwandais de la race blanche. Quelques familles de chefs tutsi étaient l’équivalent des   « Nobles Aryens ». Voilà la part de pré-jugé.

ICYUBAHIRO: « Mbwira Munyarwanda »(Kanda hano urebe amagambo y’indirimbo yose)

1/ Du pré-jugé à l’idéologie

Une certaine littérature témoigne de cette situation. Le livre d’A. Arnoux est exemplaire à ce sujet.

« Manifestement apparentés aux abyssins, les Batutsi vinrent au Rwanda très longtemps après les autres races. Ceux d’entre eux qui descendent de souche non mêlée se reconnaissent à leur figure sémite, à leurs traits fins, réguliers, à leur teint bronzé plutôt que noir, à leur sveltesse mais surtout à leur taille élevée…

Les bovins, voilà bien surtout par quoi les Batutsi exercent leur domination sur les races inférieures, dans le cadre d’un système féodal équivalent exact de celui qui a fleuri au moyen âge. En vue d’en obtenir protection, secours variés, vaches, le muhutu se met à la remorque d’un seigneur puissant, chef ou non, se proclame son homme, son serf » (Les Pères Blanc aux sources du Nil, Paris, 1948, p.24).

2/L’idéologie de l’ethnisme

Lorsque les alliances furent changées, que le Tutsi fut abandonnés par la colonisation pour avoir commis la faute de demander l’indépendance de son pays, ce qui était qualité du Tutsi devint défaut ou plus exactement le revers de la médaille.

Dans son fameux livre (Mission au Rwanda, Bruxelles, 1988), le colonel Guy Logiest nous livre un autre témoignage qui corrobore ce racisme, à l’époque ou le Tutsi était devenu l’ennemi de la colonisation belge.

« Aujourd’hui, après plus de vingt-cinq ans, je m’interroge sur les motifs qui me faisaient agir avec tant de détermination. C’était sans doute la volonté de rendre à un peuple sa dignité. C’est peut-être tout autant le désir d’abaisser la morgue et d’exposer la duplicité d’une aristocratie (tutsi) foncièrement oppressive et injuste » (p.IV).

La vraie raison de ce changement est trahie dans la phrase suivante : « Les Hutu se déclarent les amis de la Belgique et sollicitent son intervention en leur faveur, alors que les Tutsi ne songent manifestement qu’à se débarrasser des Belges » (op.cit., p.III).

Nous y voilà. Nous sommes déjà au stade de l’idéologie. Ce qui était seulement un pré-jugé de race et devenu une stratégie politique. Le Tutsi est devenu mauvais ; le Hutu bon. Mauvais et bon par rapport au colonisateur. L’« aryen rwandais » (=Tutsi) est devenu mauvais parce qu’il ne la demande pas. Du plan psychologique, nous sommes passés au plan sociologique, celui des intérêts entre le nationaliste et le colonialiste.

 

Commentaire: Que s’est-il passé après le départ des colonisateurs? Il faut avoir le courage de regretter que les rwandais eux-mêmes ne se sont jamais libérés (kwibohora) de ces préjugés raciaux et de cette idéologie raciste.  Car, avant le génocide de 1994, le Tutsi était considéré comme un « ennemi » et plus tard après le génocide, le Hutu fut considéré comme un « génocidaire ».

Notez bien: le texte de l’article 2 de la Déclaration de la Déclaration sur la race et les préjugés raciaux, les chansons du Groupe  Icyubahiro et de Teta Diana insérés dans l’article de Bernardin Muzungu ainsi que le commentaire final relèvent du travail de la rédaction.

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