Monthly Archives: janvier 2016

Le Livre d’Innocent BIRUKA: « Sarah fille d’Afrique » (Communiqué de presse)

Élève dans un lycée au Nigeria, Sarah craint chaque jour les attaques barbares des Guerriers du Paradis. Un soir, le cauchemar se réalise et la secte islamiste prend tout l’internat en otage. D’une dignité remarquable pour son âge, la jeune femme se révolte contre le Commandant Malick, le leader. Entre haine et passion, Sarah adopte la stratégie du kiss and fight et mène à la baguette le moudjahidin en chef qui tente de conquérir son cœur.

Pour lire tout le communiqué de presse et commander le livre, cliquez sur ce lien:

Le livre d’Innocent Biruka « Sarah fille d’Afrique »

Charles Ndereyehe: Le conflit ethnique et politique rwandais. Message à la jeunesse rwandaise (Extraits)

Les caractéristiques principales du conflit rwandais.

Beaucoup de jeunes ont été instrumentalisés surtout dans le dernier conflit rwandais qui ravage encore le pays. La confrontation s’est faite autour de certaines idéologies racistes véhiculées par des criminels professionnels déguisés en politiciens en vue de leur permettre de prendre ou de conserver le pouvoir et de le gérer sans partage. La crise rwandaise a été souvent présentée comme une confrontation ethnique entre surtout les Hutu et le Tutsi. La discrimination ethnique qui frappe à première vue n’est pourtant qu’un des effets de la mauvaise gestion du pouvoir au Rwanda. C’est en effet la mauvaise gouvernance qui constitue le problème central de la crise rwandaise.

Je n’ai pas la prétention de discuter de l’histoire du Rwanda, ni d’analyser toutes les facettes de la crise rwandaise dans les quelques minutes qui m’ont été accordées. Ma démarche ne vise qu’à donner ma contribution sur le débat en cours sur les vraies causes de la crise rwandaise en vue d’aider les jeunes à y voir plus clair avant de s’aventurer sur un chemin parsemé d’obstacles. [...]

[...] l’Abbé Alexis Kagame a écrit « INGANJI KALINGA » en 1943-1947, et a immortalisé l’histoire du Rwanda jadis uniquement orale. Cette publication a servi comme source d’inspiration pour élaborer la plupart des manuels d’enseignement de l’histoire du Rwanda. Beaucoup d’instruits rwandais n’ont donc appris et transmis qu’une seule interprétation de la version de notre histoire véhiculée suivant la pensée et l’idéologie des clans SINDI-NYIGINYA et BEGA qui ont dominé la scène politique du Rwanda jusqu’en 1959. Sans nier le rôle important qu’ont joué ces clans dans la construction du Rwanda actuel, il faut néanmoins dire que l’histoire du Rwanda et sa structure socio-politique étaient rapportées avec des approches mythiques, mixant fantaisie et surréalisme pour justifier des injustices sociales dont étaient victimes la majorité des rwandais jusqu’en 1959.

La publication d’Alexis Kagame est devenue la référence des recherches et publications ultérieures sur l’histoire du Rwanda, jusque tout récemment où certaines thèses ont été mises en cause notamment par des chercheurs rwandais[3]. C’est dire donc que non seulement les jeunes, mais aussi les adultes susceptibles de transmettre les connaissances pour aider les jeunes à se former et acquérir les aptitudes pour contribuer à résoudre le conflit rwandais, sont partis sur de mauvaises bases. Pour essayer d’éclairer la jeunesse et pour lui offrir des solutions alternatives pour endiguer le conflit rwandais, il convient de les aider à vivre la problématique rwandaise actuelle différemment et aborder la crise rwandaise avec plus de sérénité. Pour ce faire, il faut d’abord démystifier le problème Hutu-Tutsi et le ramener à sa juste dimension politique. La jeunesse rwandaise doit se refuser de se fourvoyer dans des débats racistes qui n’arrangent que ceux qui veulent leur priver de leurs droits.

Le problème Hutu-Tutsi et la politique de l’autruche

Les Rwandais doivent aborder le problème Hutu–Tutsi sans passion. Hier c’était tabou discuter du problème Kiga-Nduga, mais grâce à l’émergence des jeunes politiciens qui l’ont replacé dans le contexte d’un déviationnisme de la révolution de 1959, notamment par la violation des droits de la personne humaine, être Mukiga, Mushiru, Munyenduga, Muganza, Mufundu…n’est plus un obstacle à la communauté de pensée en vue de lutter ensemble pour « un peuple réconcilié dans un Etat de droit ». L’origine régionale et les expériences vécues par tout un chacun sont devenus une source de diversification et d’enrichissement du débat. Il n’y a donc pas de raison majeure de ne pas aboutir aux mêmes résultats pour le problème Hutu-Tutsi.

Analyser froidement le problème Hutu-Tutsi ne signifie pas renier l’existence de ces « ethnies ». Au contraire sans Hutu, Tutsi et Twa, le Rwanda ne serait pas le Rwanda. Les Rwandais de toutes les « ethnies » doivent analyser leur histoire, reconnaître les erreurs du passé et les assumer, sans quoi il sera difficile de construire un Rwanda meilleur dans lequel toutes les « ethnies » vivent en harmonie. Les jeunes intellectuels Hutu et Tutsi doivent se distinguer de la masse d’instruits rwandais, se dépasser et prendre le taureau par les cornes pour discuter de ce problème sans complaisance. Quoiqu’il en soit, vous chassez le problème Hutu-Tutsi par la porte, il rentre par la fenêtre. Refuser de débattre le problème Hutu-Tutsi comme dans le passé lointain et récent, c’est se piéger.

En effet, poussé par les velléités des Grands Seigneurs de la Cour en 1958, le roi Rudahigwa a évité de débattre le Problème Hutu-Tutsi prétendant que le Rwanda était « imbaga-Nyabutatu » qui vivait en harmonie. Il a refusé de prêter une oreille attentive aux doléances des masses populaires asservies. Opprimés par les injustices sociales et l’exclusion dans la gestion du pouvoir[4], les Hutu ont fini par se révolter en 1959[5]. Cette révolution sociale a renversé la monarchie féodale pour instaurer la République fondée sur la Déclaration universelle des droits de l’homme. Des aristocrates tutsi, certains craignant pour leurs vies et d’autres opposés au nouvel ordre social, ont fui le Rwanda et se sont installés principalement au Burundi, au Congo-RDC, en Ouganda et en Tanzanie.

Sous la première République, le problème a été latent, mais il a continué d’envenimer le climat politique. Des attaques continues de réfugiés tutsi n’a pas permis de débattre cette question dans la sérénité, pour que chaque Rwandais, chaque Rwandaise, jouisse de ses droits, indépendamment de ses origines sociales ou régionales. Les tutsi restés à l’intérieur ont été souvent victimes de la globalisation et certains d’entre eux ont été massacrés injustement ou exclus de la gouvernance du pays. Les vieux démons ethniques à peine voilés par le régionalisme ont continué à peser lourd dans les décisions politiques jusqu’au coup d’Etat militaire qui a installé les militaires au pouvoir avec l’avènement de la deuxième République en 1973.

La deuxième République a voulu résoudre ce problème sans le débattre et a imposé « l’équilibre ethnique » et, dans la foulée, « l’équilibre régional » sans vraiment les respecter. La discrimination raciale est restée sur les lèvres et dans les actes. Les féodo-monarchistes n’ont pas manqué de profiter de la confusion idéologique des militaires au pouvoir pour remonter la pente et tisser les filets pour renverser les républicains qui les avaient chassés du pouvoir[6]. C’est ce courant qui a abouti à la guerre d’octobre 1990. Durant les négociations d’Arusha, le débat Hutu-Tutsi a été évité à cause des calculs machiavéliques de certains et la naïveté des autres. Après que le Front Patriotique Rwandais a pris le pouvoir, le problème Hutu-Tutsi est revenu au galop.

Actuellement, malgré qu’il n’y ait aucune mention ethnique dans les cartes d’identité, les Hutus ne sont perçus que comme des génocidaires ou, selon le Président Kagame, des potentiels génocidaires car nés de parents génocidaires[7]. Les Hutu peuvent participer au pouvoir seulement s’ils acceptent d’être des « Hutu de service ». Une compétition n’est juste que si elle est gagnée par un Tutsi, une discrimination n’en est une que quand elle est exercée contre un Tutsi. Un conseil d’administration d’une entreprise ou d’une ONG n’est légitime que quand elle a des Tutsi comme membres. Un Hutu n’a pas droit d’opinion que s’il pense sur la même longueur d’ondes que la politique du FPR, autrement cette opinion est divisionniste, voire même révisionniste ou négationniste[8]. On ne peut pleurer ses morts que quand on est Tutsi, on a droit de témoigner dans GACACA contre des criminels que quand c’est fait contre les « criminels » hutu. Il n’y a pas de Hutu présumé innocent, il est présumé coupable et ne peut quitter la prison que s’il plaide coupable, même quand il ne se reproche de rien. Tel est le triste panorama du Rwanda actuel qui refuse tout débat sur le problème Hutu-Tutsi, car le FPR veut qu’il n’y ait pas d’ethnies au Rwanda, qu’il n’y ait ni Hutu, ni Tutsi et ni Twa au Rwanda, qu’il n’y ait que de Rwandais !

Parmi les jeunes, comme parmi les adultes, il y a de gens qui se tirent des flèches envenimées notamment lorsqu’il s’agit de débattre sur le problème de génocide des Hutu et du « génocide » hutu, non encore reconnu. Les inconditionnels du FPR défendent aujourd’hui mordicus le régime dictatorial comme le faisaient hier les inconditionnels du régime du MDR (Mouvement Démocratique Républicain) devenu parti unique au déclin de la première République, et ceux du MRND (Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement et la Démocratie) par la suite, et se refusent à tout débat démocratique qui puisse aider le Rwanda à sortir pacifiquement de l’impasse. Beaucoup de Rwandais restent prisonniers de leur passé politique et ne veulent pas s’exercer à l’autocritique pour reconnaître les erreurs du passé dont le cumul a conduit au drame que les Rwandais vivent actuellement. Dans ce bourbier, je comprends que les jeunes manquent de repères et risquent d’être victimes des clichés transmis par des générations antérieures.

Mais qui sont ces Hutu et ces Tutsi qui se massacrent périodiquement au Rwanda ? Telle est la question à laquelle nous allons donner des pistes de compréhension pour susciter les débats.

Dépassionner le débat Hutu-Tutsi

Pour aider les jeunes à dépasser cet écueil, nous allons tenter de donner quelques éclaircissements à certaines questions auxquelles les progressistes se sont heurtés durant les multiples débats. Qui est réellement Tutsi et qui est réellement Hutu? Existe-t-il des éléments caractéristiques fiables pour reconnaître un Hutu d’un Tutsi ? Existe-t-il de relation entre l’appartenance  » ethnique » et le système éducatif des enfants ? Y a-t-il, par conséquent, corrélation directe entre l’appartenance  » ethnique » et le comportement social ? Quelle clarification peut-on apporter à l’UBWOKO « Hutu-Tutsi-Tsi » traduit en français par « ethnies » et UBWOKO  » aba-ZIGABA, aba-GESERA, aba-SINGA, aba –SINDI, aba-NYIGINYA, aba-EGA…. » traduits par « clans » ? Qu’est ce qui est la composante de l’autre ? Existent-ils des éléments historiquement vérifiables pouvant prouver qu’est-ce qui a précédé l’autre ? Quel est l’origine de l’excentrisme Hutu-Tutsi ? Quand est-ce que l’ethnisme au Rwanda prend l’ampleur de racisme ? La cohabitation pacifique ou la coexistence harmonieuse entre les Hutu et les Tutsi est-il possible au Rwanda ? Si OUI, comment et à quelle condition, si NON pourquoi et comment résoudre cette impasse ? Est-il possible d’assurer une représentation ethnique dans l’exercice du pouvoir ? Quelles sont les garanties qu’il faut assurer pour protéger les minorités et pour mettre fin aux massacres interethniques cycliques au Rwanda ?

Ce n’est certes pas possible de trouver des réponses qui satisfassent tout le monde, surtout que pour certains jeunes, ce sera la première fois qu’ils apprennent qu’à coté de l’UBWOKO versus ethnies, il y a encore UBWOKO versus Clans. Mais ce n’est pas ce qui est fondamental car les Rwandais ont besoin d’autres repères pour sortir de l’impasse qui les enferme. [...]

La définition et/ou la perception du Hutu, Tutsi et Twa ont évolué suivant les différents courants et les centres d’intérêts. Par exemple il y a eu beaucoup de Rwandais Tutsi qui se sont fait recenser comme des Hutu entre 1959 et 1990, tout comme il y a des personnes déclarées Hutu jusqu’en 1994 qui se font passer actuellement comme des Tutsi après la prise du pouvoir par le FPR.

Arrivé au Rwanda vers le début du 20ième siècle, les colonialistes ont cherché à comprendre et à s’expliquer les mécanismes de stratification de la Société rwandaise qu’ils ont trouvée sous le règne « Sindi-Nyiginya »[11]. C’est l’approche par courants migratoires fortement influencés par les courants racistes de l’hiérarchisation des races en vogue en Europe dans les années 1920 (Ecole Hambourg et de Vienne) qui a dominé les études et publications de cette époque. Les Tutsi ont été considérés comme des pasteurs, des Hamites-Ethiopides, « faux-noirs » venus de la région du Nil, derniers arrivés au Rwanda ; les Hutu, Négroïdes de la race Bantou, venus très vraisemblablement du bassin du Tchad, agriculteurs, seraient les deuxièmes arrivés ; les Twa, Pygmoïdes, mystérieux, chasseurs vivant dans les forêts , auraient été les premiers occupants du Rwanda. Les pasteurs, guerriers, auraient fini par conquérir tous le pouvoir par les armes et asservir progressivement ceux qu’ils ont trouvés sur place. Entre 1950-1960, les colons continueront à s’évertuer à faire des études anthropologiques avec des définitions zoologiques des « ethnies » rwandaises, en se basant sur la taille, la géométrie du front et la largeur du nez…. Par la suite, d’autres critères comme l’hiérarchie dans la structure politique et le nombre de gros bétail (vaches) possédé seront pris en compte pour la stratification et la codification des « ethnies » rwandaises.

La théorie migratoire est contredite par des études récentes déjà évoquées . Dans sa thèse de doctorat, Dr A. Nyagahene conclut ses recherches comme suit : « …Ces faits nous amènent à la conclusion que ces clans rwandais , à leur arrivée au Rwanda, ne connaissaient pas du tout eux-mêmes le système ethnique. En d’autres mots, ils sont arrivés, du moins ceux qui se sont formés à l’extérieur, dans l’espace actuellement appelé Rwanda, en tant que Abasindi, Abaha, Abega, Abasita etc, et non en tant que Abahutu-Abatutsi-Abatwa…

Quelques groupes se sont progressivement individualisés et identifiés , ou leurs voisins les ont identifié comme des Hutu-Tutsi-Twa, selon des mécanismes dynamiques alors en jeu dans ces sociétés…qui étaient sans doute en relation avec les structures économiques , matrimoniales, socio-politiques etc… La polyvalence clanique se situe même au début de la formation du système ethnique qui lui est postérieure… Le phénomène ethnique rwandais fit son émergence sur le sol rwandais à des époques apparemment récentes au sein d’une population en provenance d’horizons divers mais ayant déjà subi plusieurs amalgames… » : pp. 235-238

Cette nouvelle perception est complétée par les recherches de Jan Vansina lorsqu’il écrit à propos des «Hutu» et des «Tutsi» : « …Tutsi était au début un ethnonyme grâce auquel une fraction des pasteurs du Rwanda se désignait elle-même. Ensuite, et déjà avant Ndori, cette signification s’était étendue pour désigner l’élite politique parmi cette fraction et c’est ce sens qui devint le plus commun après la fondation du royaume…. Dès avant Mazimpaka, les maîtres traitaient leurs serviteurs, même ceux d’ethnie Tutsi, de Hutu. Le premier groupe appelé Hutu collectivement fut sans doute celui des membres de la corporation Gakondo parce qu’il s’agit d’une corporation servile. Un autre cas ancien où le terme fut appliqué à une collectivité de gens fut la désignation des habitants de toute la province du Budaha comme Hutu parce qu’ils étaient serviteurs chargés de ravitailler la cour… Dans le cadre du développement interne des armées, donc au plus tard, du temps de Rujugira, les termes tutsi et hutu furent appliqués à de nouvelles catégories de personnes. Dans cet environnement tout guerrier combattant était Tutsi, le terme étant opposé à umutware : ‘chef’ et à Hutu : ‘non-combattant’. Puisque les élites politiques étaient tutsi et que la première compagnie combattante d’une armée était recrutée parmi les pages, cette équivalence guerrier / tutsi se comprend aisément. Le terme ‘Hutu’, lui, s’appliquait aux non-combattants d’une armée, parce qu’ils étaient en service. C’est dans ce contexte qu’apparut la première distinction institutionnalisée opposant directement Hutu et Tutsi. Comme la grande majorité des non-combattants étaient des lignages d’agriculteurs, les élites en vinrent à appeler tous les agriculteurs hutu et à opposer le terme à celui de tutsi appliqué à tous les éleveurs… L’apparition de l’institution de l’uburetwa aggrava et envenima encore ce clivage. Car seuls les Hutu devaient l’uburetwa foncier et la nature servile des travaux exigés par le chef de terre, en contraste avec les obligations moins humiliantes des clients tutsi, aurait déclenché une prise de conscience à travers toute la société qui donna naissance aux deux catégories sociales hiérarchisées. Désormais, les termes Hutu Tutsi désigneront avant tout non plus une situation de classe ou de dépendance ou une occupation, mais un statut absolu… Ce clivage absolu entre Hutu et Tutsi institutionnalisé par la pratique quotidienne de l’uburetwa obnubila rapidement l’ancienne conscience de classes sociales malgré le fait qu’il était issu lui-même d’un phénomène politique et non d’une conception de classe… »[12]

Se basant sur la situation de la stratification de la société rwandaises, soucieux et choisissant de s’appuyer sur « l’indirect rule » pour mieux exploiter les masses paysannes rwandaises, les colonialistes vont renforcer la mainmise de la dynastie régnante sur tout le territoire rwandais[13] et vont lui accorder le monopole du savoir en privilégiant l’accès à l’enseignement presque exclusivement aux enfants des Tutsi.[14]

Fatigués par les injustices et les discriminations dont ils étaient victimes, entraînés par les grands bouleversements qui ont suivi la fin de la deuxième guerre mondiale, inspirés par la Déclaration universelle des droits de l’homme faite par les Nations Unies en 1949 et encouragés par les grands mouvements de libération des peuples opprimés qui en ont suivi, les leaders hutu ont publié le manifeste des Bahutu le 24 mars 1957. En répondant à leurs revendications, les grands féodaux tutsi de la cour royale ont fait une mise au point en définissant les Tutsi comme fils de Kigwa (Ibimanuka) et les Hutu comme fils de Kanyarwanda, précisant que « …ceux qui réclament le partage du patrimoine commun sont ceux qui ont entre eux des liens de fraternité…les relations entre nous (Batutsi) et eux (Bahutu) ont été tous les temps jusqu’à présent basés sur le servage… ». Pour plus d’amples informations, ils les ont envoyés se référer au contenu de « Inganji Kalinga » d’Alexis Kagame.[15] En effet, c’est dans ce contexte que le Rwanda était considéré comme propriété des Seigneurs Tutsi ayant des Hutu comme serfs, exploitables à merci jusqu’à la révolution sociale de 1959.

Le Rwanda n’a pas pu résister à la pression de l’ONU sur le pouvoir de tutelle belge l’intimant à veiller à ce que le droit s’installe progressivement au pays. Devant la théorie de Mutara Rudahigwa selon laquelle tous les Rwandais étaient égaux devant le Roi et la Loi, Aloys Munyangaju réplique par ce qu’il appelle « la contradiction entre les faits et le droit ». Chiffres à l’appui, il énumère les différentes discriminations (discriminations politico-économiques, judiciaire et culturelle ; discriminations relatives aux charges publiques, à la possession et à l’exploitation des terres agricoles …)[16] dont les Hutus représentant plus de 85 % de la population rwandaise sont victimes. C’est la même contradiction qu’on retrouve aujourd’hui entre les déclarations égalitaristes du régime du FPR et les faits illustrés par Enéas Gakusi à la page 28 de son analyse déjà citée.

Lorsque surgit la guerre d’octobre 1990, les sentiments sont mélangés. Les repères tutsi et hutu sont mitigés par des phénomènes de mariages croisés, l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie (classe dominante) constituée principalement par des hauts fonctionnaires et des commerçants. Entretemps l’argent a remplacé la vache, la discrimination régionale commencée dans la première République s’est accentuée et a offusqué la marginalisation des tutsi ; l’assassinat des leaders de Gitarama dont Son Excellence le Président Kayibanda Grégoire, héros de la révolution sociale de 1959 et un des grands fondateurs de la République rwandaise, a envenimé le climat politique ; des nouvelles alliances se sont tissées. Les hutus progressistes ont compris que la discrimination rwandaise n’est pas un phénomène exclusivement ethnique, car il y a des Hutus qui ont été marginalisés tant sous la première que dans la deuxième République. Certains se sentaient alors prêts à s’associer même avec le diable pour se décharger du régime militaire devenu très asphyxiant.

Cette guerre a ravivé les sursauts ethniques, les Hutus s’interrogent sur les vraies intentions du FPR-Inkotanyi et les plus âgés revivent les cauchemars de la servitude féodo-monarchique, alors que les plus jeunes commencent à s’interroger à quelle ethnie ils appartiennent en découvrant soudainement qu’ils ne sont pas de la même « ethnie » que certains de leurs collègues d’école. Certains crieront au scandale de ces naïfs hutu qui ne l’ont jamais fait savoir à leurs enfants!. Les enfants des familles croisées, dont certains se définissent actuellement comme de HuTsi, sont complètement désorientés.

Du côté des Tutsi, c’est la jubilation des nostalgiques revanchards féodo-monarchiques, mais c’est l’incertitude mélangée d’angoisse pour ceux qui avaient appris à vivre normalement avec leurs voisins hutu. La tension ethnique attisée par les propagandistes des deux bords monte, la conscience ethnique et les solidarités aveugles se restaurent jusqu’à la catastrophe. Cette guerre, avec des soubassements pratiquement ethniques, provoquera une perte de plus de 3 millions de rwandais (40 % de la population), toutes « ethnies » confondues.

Après la victoire de la rébellion soutenue par l’opposition intérieure, l’exode des Hutus et leur errance sont venus attiser l’ethnisme ; ceux qui se sont alliés au FPR n’ont pas tardé à se rendre compte qu’ils ont été embobinés par des féodo-monarchistes habillés en Républicains, tel un loup en peau de mouton pour mieux se faufiler dans la bergerie. En effet depuis 1995, les premiers collaborateurs hutu du FPR fuient la nouvelle dictature militaire et ethno-centriste, et le mouvement ne s’est pas estompé. L’élan progressiste qui avait uni et créé de nouvelles formes de solidarité entre les Rwandais de différentes « ethnies », de différentes convictions politiques et de différentes couches sociales, semble s’évanouir et le débat se cristallise de nouveau autour des ethnies au lieu de s’en prendre au système de gouvernance du FPR. Nous voilà retourné à la case de départ, antérieure à 1959.

Cette érosion des alliés du FPR ne s’est pas arrêtée aux seuls Hutu, des rescapés tutsi ont été victimes des services spéciaux du régime, des honnêtes tutsi qui s’étaient battus pour les idéaux d’égalité de droits se sont vus dépassés par la criminalité du régime et ont préféré reprendre le chemin de l’exil. Les exilés rwandais sont actuellement de toutes les « ethnies » et commencent à comprendre que l’antagonisme Hutu –Tutsi n’est qu’un alibi des extrémistes qui instrumentalisent les « ethnies » et la solidarité négative, pour usurper le pouvoir et pour monopoliser les ressources nationales.

Exorciser les ethnies, éviter la globalisation

Chaque société dynamique a une stratification sociale basée sur la différenciation de l’évolution des activités économiques. Il n’y a donc rien d’étonnant que les rwandais se soient subdivisés en éleveurs, agriculteurs, forgerons et autres caractéristiques des sociétés primitives à économie dominée par le Secteur primaire. Au fur et à mesure que les Secteurs secondaire et tertiaire s’installent, il se développe d’autres catégories sociales comme les industriels, les commerçants et les fonctionnaires publics telle qu’était devenue la société rwandaise en 1994, nettement différente de ce qu’elle était avant 1959.

La problématique de la lutte de classe et entre les différents groupes sociaux composant la société concerne normalement la gestion des facteurs de production et la répartition du revenu qui en découle. Continuer à axer la lutte politique et économique rwandaise sur les Hutu, les Tutsi et les Twa qui ne sont en fin de compte que des groupes sociaux, c’est rester primitif. Alors que la lutte de 1959 concernait les Hutus considérés comme des serfs, et de ce fait exclus de la gouvernance du pays, et qui par conséquent devaient s’affranchir de la servitude que leur imposaient ceux qui se désignaient comme des Tutsi, la marginalisation et l’exclusion actuelles du pouvoir concernent toutes les « ethnies » même si ceci est différemment ressenti du fait que le pouvoir est dominé par des extrémistes Tutsi. Le combat a donc changé de nature !

Disons avec Nyagahene à la page 200 de sa thèse de doctorat, que « …Il n’est pas question , bien sûr, de nier ici le fait que chaque rwandais (parmi les plus âgés : ndr) possède une conscience claire de son appartenance identitaire à travers ces divers groupes sociaux, ni les antagonistes et les solidarités qui accompagnent cette conscience. L’environnement et l’entourage sociaux savent classer chacun dans son domaine propre et légitime…» Néanmoins, lorsqu’on parcourt l’évolution du phénomène ethniste dans l’histoire du Rwanda, on constate que ce n’est pas l’ethnie qui est un problème. Elle le devient lorsqu’elle est idéologisée pour prendre une ampleur raciste en l’érigeant en système de gouvernance qui prive les citoyens de leurs droits. Evitons donc les clichés et la globalisation.

En effet, par exemple, même avant 1959 les dynasties régnantes Nyiginya et Bega qui dominaient à 80%[17] le pouvoir rwandais ne représentaient pas tous les Tutsi. Les Bayiginya qui représentaient moins de 6% de la population étaient composés de 58,5 % de Hutu, tandis que les Bega qui avoisinent 8% comprenaient plus ou moins 75% de Hutu[18]. D’autre part, dans le gouvernement du FPR en 2001, 43% étaient des Hutu et ce pourcentage atteignaient 50% au Parlement et 42 % chez les préfets de préfectures (District)[19]. Les hutus exilés peuvent-ils revendiquer être plus hutu que ceux qui sont au pouvoir avec et dans le FPR ? Peut-on donner raison à ceux qui disent qu’il faut se battre contre le pouvoir Tutsi actuel pour restaurer le pouvoir Hutu ? Jusqu’à quand ira ce cycle de violence ?

Comme je le disais dans une Conférence sur « la problématique de la réconciliation au Rwanda » tenue à Utrecht le 2 octobre 1999 « …Le problème que KAGAME connaît actuellement ne découle donc pas du fait qu’il est tutsi, mais trouve sa raison d’être plutôt dans le fait qu’au lieu d’instaurer un Etat de droit, démocratique et juste comme le FPR l’avait négocié à Arusha, il a instauré une dictature sanguinaire dominée par des extrémistes tutsi. Si le régime actuel était ouvert à la démocratie et respectait les droits de l’homme dans leur intégralité, si l’armée était l’armée du peuple et non pas une armée ethnique à la solde des extrémistes du FPR, il n’y aurait plus de raison de guerres intestines. Les forces démocratiques auraient leur place, le peuple recouvrirait ses droits et la lutte pour le pouvoir se ferait sans coûter les vies aux populations innocentes”[20]. [...]

On ne choisit pas de naître dans telle ou telle ethnie, et ceci ne devrait pas de toute façon faire objet d’un quelconque complexe. Si les Européens devaient revivre les temps des Huns, des Wisigoths, à la recomposition de la Gaule, à l’empire romain, à scruter l’origine des Sévillans de l’Andalousie espagnole …et justifiaient leurs choix politiques et économiques en fonction des origines de tout un chacun, ça serait l’implosion totale de l’Europe. Si les enfants des esclaves devaient mourir esclaves, les USA ne seraient pas ce qu’ils sont. Qu’on ne vienne pas donc nous répéter qu’il est impossible de gérer trois « ethnies » au Rwanda sous prétexte que les Tutsi étaient des Seigneurs et les Hutu des Serfs rwandais! Les solutions souvent évoquées de « Hutuland » et de « Tutsiland » préconisés par certains analystes, qui ne se rappellent même pas qu’il y a les Twa, ne sont que des aberrations pour imploser le Rwanda.

Enfin , il faut souligner que ni la physionomie, qui actuellement fortement influencée par le régime alimentaire, ni le style de vie et le savoir-être qui se traduisent dans des comportements et attitudes fortement dépendant de l’environnement social et du système éducatif, ne peuvent nous aider à distinguer qui est tutsi ou hutu, et qui ne l’est pas. Un cousin resté sur les collines rwandaises ou vivant dans la forêt équatoriale, luttant journellement contre les conditions de survie, ne peut avoir ni la stature, ni l’allure d’un fils de Colonel, d’un fils de ministre ou de son cousin élevé à l’européenne avec des suppléments de vitamines ! Cessons donc nos clichés hérités des théories racistes et arrêtons de nous référer aux critères zoologiques et/ou à certaines déviations comportementales pour classer les gens dans une ou telle « ethnie ».

La plupart des jeunes concernés par notre débat n’ont su qu’ils sont hutu ou tutsi que parce que leurs parents leur ont raconté ça. Il n’y a pas de critères objectivement vérifiables qui puissent permettre de désigner sans se tromper qui est hutu et qui est tutsi dans une masse des jeunes des milieux rwandais aisés.

Nous devons trouver d’autres repères pour préparer nos jeunes à assurer leur avenir, car ils sont le Rwanda de demain. Commençons par les éduquer dès le jeune âge que tout rwandais est d’abord une personne humaine avant d’être Hutu, Tutsi ou Twa. Eduquons les jeunes à connaître et à intérioriser les droits de la personne humaine. Apprenons leur que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits; qu’ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ; et que tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne[22]. Inculquons-leur que toute personne est créée à l’image de Dieu et que la vie est sacrée car que c’est d’elle que découlent tous les autres droits. Habituons les jeunes aux débats contradictoires et démocratiques, intéressons les jeunes à la politique, car c’est la politique qui gère les conflits qui ne peuvent pas manquer dans toute société humaine.

Tout en reconnaissant que les colonialistes ont aggravé la situation en prenant leurs explications (perceptions) comme des justifications (réalités) et en introduisant la théorisation zoologique et la rationalisation des classes économiques comme critères distinctifs des Ubwoko versus « ethnies », nous devons nous efforcer à aider les jeunes à savoir assumer. L’ethnisation de notre pays n’est pas l’œuvre des colons car ce qui se passe actuellement n’est ni l’œuvre des Allemands ni des belges, ni des Français ni des Anglais…. Cessons de fuir nos responsabilités. Ce sont les Rwandais eux-mêmes qui doivent résoudre leurs problèmes.

Si nos jeunes arrivaient à se dépouiller des tares que nous avons héritées, si les jeunes générations s’unissent pour combattre la renaissance de la discrimination antérieure à 1959 que le FPR est entrain de restaurer, même s’il ne manquera pas quelques parents inconscients qui vont continuer à tirer sur la corde ethniste, le conflit rwandais devrait s’estomper. Les nouvelles générations seront amenées de parler de lutte politique, d’adversaires politiques, et non pas d’antagonistes ou d’ennemis ethniques.

Les jeunes rwandais doivent donc se préparer à combattre toute dictature d’où qu’elle vienne, s’ils veulent avoir une part active dans la résolution du conflit rwandais, et pour ce faire ils doivent s’intéresser de la politique et y avoir une part active. L’énoncé dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme est très clair là-dessus: ‘‘…Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme ; Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression…”. [...]

                                                                                                      Charles Ndereyehe

L’amnistie et la grâce: des faux pardons pour une fausse réconciliation

Depuis toujours, on nous fait croire que l’amnistie constitue la meilleure voie politique pour « réconcilier » un peuple victime des guerres et d’autres conflits violents. Les défenseurs de cette thèse politique prétendent que l’Etat aurait beaucoup de difficultés de juger un nombre très élevé de personnes responsables des massacres, et qu’il faut alors recourir au « pardon politique » pour permettre à certains d’entre eux d’intégrer ou réintégrer les fonctions politiques ou militaires. Parfois, ce sont les combattants rebelles qui réclament eux-mêmes cette amnistie, et imposent cette condition lors des négociations politiques, pour arrêter la guerre et les massacres. La loi d’amnistie et les mesures de grâce sont donc motivées par des raisons politiques dans le but de protéger ceux qui veulent le pouvoir et, de facto, certains responsables des crimes politiques – qui restent impunis – en aggravant malheureusement la souffrance des victimes. Dans ces conditions, il est évident que la réconciliation authentique ne peut pas être possible.

1. La loi d’amnistie et la grâce accordée par le chef de l’Etat ne favorisent pas la réconciliation authentique

 a) L’amnistie n’est pas le pardon

La loi d’amnistie est un acte du pouvoir législatif qui efface un fait punissable, arrête les poursuites, et anéantit les condamnations pénales, mais qui n’a pas d’effet sur les condamnations civiles. Elle anéantit la punition et le fait qui en est la cause. En décrétant cette mesure politique, l’Etat agit comme s’il représentait les victimes en justice et avait même le droit d’accorder le pardon à leur place!

L’amnistie est souvent générale, c’est-à-dire qu’elle est accordée pour toutes les infractions commises dans des circonstances bien déterminées. C’est une loi occasionnelle, prise à l’occasion de certains événements politiques en faveur d’une certaine catégorie de personnes responsables des violations graves des droits de l’homme.

L’amnistie n’est pas décidée à la demande des parties civiles, c’est-à-dire les victimes. C’est une décision unilatérale de l’Etat dans l’intérêt du Pouvoir politique, et non dans l’intérêt de la communauté. Cette décision politique profite aux responsables des crimes amnistiés alors qu’elle fait souffrir les victimes encore davantage, parce qu’elles vivent toujours dans la peur et l’insécurité, avec la crainte que les  mêmes bourreaux peuvent, à tout moment, répéter les mêmes violences.

L’amnistie est donc une source d’impunité et de récidive (*) parce qu’elle ne responsabilise pas les auteurs des infractions pour qu’ils puissent s’amender. En conséquence, face à cette situation injuste et suite au mécontentement des victimes, l’amnistie peut aussi inciter celles-ci à la vengeance.

En effet, l’amnistie étouffe la vérité car les victimes et la communauté n’ont pas droit à une justice pour leur permettre de comprendre les agissements des personnes amnistiées.

Par conséquent, l’amnistie est donc un faux pardon et ne peut conduire qu’à une fausse réconciliation, car le pouvoir de pardonner appartient aux seules victimes. Il ne peut y avoir de vraie réconciliation si les victimes ne connaissent pas la vérité, si elles n’obtiennent pas justice et réparation, et si elles ne peuvent donc pas pardonner.

L’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (International IDEA), dans un document intitulé « la réconciliation après un conflit violent » publié en 2004, affirme ceci:

« La réconciliation est gravement mise en cause si le cercle vicieux de l’impunité n’est pas brisé. L’immunité est une variante de l’impunité. Elle est basée sur la pratique internationale assurant une protection aux chefs d’état contre les poursuites. Dans certains cas, l’instauration de la paix est en fait facilitée lorsque les chefs de mouvements rebelles obtiennent, par le biais de la législation nationale, une immunité provisionnelle et limitée. 

Les sources les plus courantes d’impunité sont les lois d’amnistie. L’amnistie peut prendre différentes formes mais elle est toujours une option à risque : elle peut aliéner les sentiments d’un grand nombre de gens, accroître les soupçons et participer à la désillusion du public vis-à-vis du processus de réconciliation en entier. C’est un instrument controversé dans le contexte des sociétés d’après-guerre, gênant habituellement le processus de réconciliation. 

Les amnisties unilatérales, générales, doivent être évitées. Si la fin du conflit ne peut être obtenue sans elle, l’amnistie peut toutefois faire figure de solution du dernier ressort. Même dans ce cas, de strictes conditions doivent être remplies. Celles-ci incluent, entre autres, un débat public précédant l’adoption de la loi d’amnistie, débat poursuivant autant que possible la vérité et la réparation, et assurant le plein respect des obligations de l’état découlant de tout traité des droits de l’homme.  »

A côté de l’impunité résultant de l’amnistie légale, certaines situations d’impunité peuvent prendre la forme d’une amnistie de fait. Cette situation se manifeste lorsque, sans le décider explicitement par une loi ou par une résolution internationale, l’Etat ou la Communauté internationale refuse ou s’oppose à ce que les personnes présumées responsables de certaines infractions politiques soient poursuivies par le justice nationale ou internationale. A titre d’exemple au sujet du Rwanda, lisez ou écoutez les propos de Mme Florence Hartmann qui affirme que « certains crimes de guerre sont demeurés impunis au TPIR« . Une sorte d’ « amnistie internationale » de fait! 

b) La grâce n’est pas le pardon

La grâce diffère de l’amnistie par le fait qu’elle est accordée par le chef de l’État – et non par le pouvoir législatif – et seulement après une décision judiciaire de condamnation (**). Elle a pour effet de supprimer l’exécution de toute la peine ou une partie de la peine, mais en laissant subsister les effets de la condamnation pénale, notamment l’exécution des réparations civiles en faveur des victimes. Elle est occasionnelle et a un caractère intuitu personnae (c’est – à -dire qu’elle est personnelle) parce qu’elle profite à la seule personne en faveur de qui elle doit être appliquée. Mais elle a les mêmes inconvénients que l’amnistie: elle ne responsabilise pas le condamné (ne permet pas à celui-ci de faire un examen de conscience pour s’amender) et favorise donc parfois la récidive. Elle ne peut donc pas être assimilée au pardon car le chef de l’Etat, même avec son autorité suprême, n’a pas le droit de pardonner au nom et pour le compte des victimes. Pour toutes ces raisons, la grâce est donc aussi un faux pardon.

Pour comprendre les effets dangereux de l’amnistie et de la grâce, il faut reconnaître que la première victime d’un crime politique n’est autre que la personne qui a été lésée par une infraction et non pas l’Etat. Cependant, même si un vrai pardon doit venir du cœur de cette victime et non d’une quelconque décision politique, une invitation légale au pardon, recommandée par le pouvoir politique, peut favoriser une bonne éducation à la réconciliation.

2. Plaidoyer pour une loi (un guide) du pardon

Contrairement à l’amnistie et à la grâce, le vrai pardon est demandé par l’auteur de l’infraction et il est accordée par la victime. Suite à des recherches menées dans le cadre de ce projet pour la réconciliation, je trouve qu’une loi du pardon peut remplacer l’amnistie. Cette loi serait plutôt une loi ordinaire et générale, applicable à toutes les infractions et à tout moment, en vue d’éclairer le peuple sur le sens du pardon et ses avantages. C’est-à-dire un guide qui déterminerait les conditions et les effets du pardon pour favoriser la réconciliation authentique.

Cette loi aurait un effet bénéfique de recommander aux parties en conflit de recourir au pardon pour arriver à la paix sociale, pour leur bien et celui de leur peuple. Elle serait une invitation légale à la réconciliation authentique, mais sans aucune contrainte. Dans un cas d’espèce de résolution d’un conflit, les parties pourraient s’en inspirer afin de comprendre les notions de pardon et de réconciliation.

La loi du pardon aurait donc un rôle éducatif, réconciliateur et pacificateur. En famille et à l’école, on nous a toujours commandé de pardonner et demander pardon, mais sans nous expliquer pourquoi et comment le faire. De même, il nous est toujours demandé de respecter les droits de l’homme proclamés par les textes internationaux mais il n’existe pas de texte légal qui nous enseigne ce que nous devons faire pour retrouver la paix sociale lorsque nous devenons victimes ou responsables des violations de ces droits humains. Car, il faut reconnaître que la réconciliation ne peut pas être réalisée par les seules instances judiciaires, même si elles y contribuent en administrant des peines aux auteurs d’infractions et en octroyant des réparations civiles aux victimes. Pour être fiable et stable, la politique de la réconciliation ne doit pas seulement être décrétée par les discours politiques – qui sont parfois contradictoires – mais elle devrait aussi avoir un guide légal.

Sans être une « décision de pardonner » édictée par une autorité politique, la loi générale du pardon n’aurait, à elle seule, aucun effet sur d’autres lois ou jugements. A l’instar des textes internationaux relatifs aux droits fondamentaux des êtres humains qui n’ont aucune force obligatoire, la loi du pardon serait, au niveau national, comme une déclaration non contraignante des droits à la réconciliation.

Le pardon effectif demandé par l’auteur de l’infraction ou accordé par la victime n’effacerait pas le fait punissable, n’arrêterait pas les poursuites et n’anéantirait pas les condamnations éventuelles déjà purgées. Mais, dans un tel système, ce pardon pourrait notamment suspendre l’exécution de la condamnation (le sursis d’exécution) ou entraîner la diminution de la peine.

Le pardon mutuel, une décision des parties concernées par le conflit, pourrait être matérialisé par un écrit signé (non obligatoire) par les parties – par exemple à l’issue de la médiation – et comportant leurs engagements volontaires notamment au sujet des réparations et du pardon échangé, c’est-à-dire un accord de réconciliation.

3. Des Comités de médiation – « Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation » – indépendants

Pour résoudre certains de leurs conflits politiques, de nombreux pays ont créé des Commissions « Vérité et Réconciliation » en recourant à l’amnistie. Ces commissions sont donc politiques. Mais alors, si l’on veut éviter l’amnistie, compte tenu de ses inconvénients et ses conséquences négatives cités plus haut, quelle instance serait-elle capable d’ouvrir un dialogue entre les victimes et leurs agresseurs? Pour avoir une justice totale et pour tous, partout et toujours, en faveur de la communauté, je trouve que la meilleure solution serait de créer des Comités de médiation indépendants, aux niveaux national et régional, dont la mission serait de rechercher la vérité, négocier les accords de réparations pour victimes, et tenter de réconcilier les parties. Ces comités seraient composés par des médiateurs, membres de l’Organisation de la Société Civile et des Cultes (O.S.C.C), indépendants, et non pas les politiciens. Les parties auraient le choix de recourir à ce processus de médiation ou de saisir directement le Parquet (Ministère Public). En cas d’échec de la médiation, le dossier serait renvoyé au Parquet pour l’instruction. En cas de réussite de la médiation, le Comité de médiation transmettrait le dossier au tribunal pour qu’il fixe la peine, en tenant compte de l’accord de médiation intervenu. Les avantages du processus de médiation sont nombreuses: la rapidité, la découverte de la vérité, l’accord sur les réparations, la possibilité de s’ouvrir au pardon et à la réconciliation, …

4. Les exemples d’amnisties et de grâce présidentielle au Rwanda

(*) Les exemples d’amnisties

1° La loi du 20 mai 1963 portant amnistie générale des infractions politiques commises entre le 1er octobre 1959 et le 1er juillet 1962 à l’occasion de la Révolution Sociale et qui, en raison de leur nature, de leur mobile, des circonstances ou des motifs qui les ont inspirées, rentraient dans le cadre de la participation à la lutte de libération nationale et revêtaient ainsi un caractère politique même si elles constituaient des infractions de droit commun (art 1er). Étaient écartées du bénéfice de l’amnistie accordée par l’article 1er de cette loi, les infractions commises durant cette période par des personnes qui ont lutté contre la libération des masses opprimées par la domination féodo-colonialiste (art. 2). Le caractère politique des infractions susceptibles d’amnistie était déterminé par une commission composée d’un magistrat et de deux assesseurs désignés le Ministre de la Justice (article 7). La Commission portait le nom de « Commission d’amnistie politique » (art.8) et ses décisions étaient sans recours (art.11).

Commentaire: L’impunité, légalisée par cette amnistie, a été une des raisons pour lesquelles les réfugiés ont choisi la voie de la guerre, par des attaques armées, des actes qu’on peut qualifier de vengeance politique. Quelques années plus tard, et parce qu’elles n’avaient jamais été punies, certaines personnes amnistiées se sont rendues responsables des crimes de génocide contre les Tutsi en 1994 et contre les hutu qui protégeaient les tutsi. A titre d’exemple, un de mes amis m’a raconté que son voisin, qui avait participé aux massacres des Tutsis en 1959 lui a conseillé, pendant le génocide de 1994, de tuer une famille voisine pour s’approprier ses terres, « comme en 1959″, lui a-t-il avoué. Ce que mon ami a refusé catégoriquement. Il faut constater que cette amnistie a été décrétée 10 mois après la proclamation de l’indépendance nationale du 1er juillet 1962.

2° Le Décret-loi du 30 novembre 1974 portant amnistie de certaines infractions politiques commises dans la nuit du 18 au 19 septembre 1968. Cette amnistie a été accordée à toutes les personnes qui avaient été poursuivies, étaient susceptibles d’être poursuivies ou avaient été condamnées du chef d’infractions à la sûreté intérieure de l’Etat commises dans la nuit du 18 au 19 septembre 1968 qui, en raison de leur nature, de leur mobile, des circonstances ou des motifs qui les avaient inspirées, revêtaient un caractère politique (art. 1). L’article 2 stipulait que celle loi ne limitait en rien le droit de tout rwandais de rentrer paisiblement et sans armes au Rwanda.

Commentaire: cette amnistie a été décrétée une année et demi après le Coup d’Etat du 5 juillet 1973

3° La loi n° 60/91 du 13 décembre 1991 portant amnistie générale et voie de solution au problème des réfugiés. Aux termes de l’article 1er de cette loi, ont été amnistiées les faits qui étaient susceptibles d’entraîner ou ayant entraîné une condamnation à une ou plusieurs peines prévues par les lois pénales pour des infractions que ces derniers avaient commises soit avant leur départ en exil soit durant leur séjour à l’étranger.

Commentaire: cette amnistie a été décrétée une année et 2 mois après l’attaque du pays par des réfugiés, c’est-à-dire la guerre du 1er octobre 1990. Il faut remarquer que cette amnistie n’a pas atteint son objectif qui était celui de permettre à ces réfugiés de rentrer paisiblement dans leur pays.

(**) L’exemple des mesures de grâce

Un arrêté présidentiel du 13 mars 1992 a décrété des mesures de grâce pour toutes les infractions, en faveur des personnes condamnées définitivement, en commuant la peine de mort en peine d’emprisonnement à perpétuité et en commuant la perpétuité en une peine d’emprisonnement de 20 ans. En outre, la remise de la moitié des peines d’emprisonnement a été accordée aux personnes condamnées à des peines d’emprisonnement de plus de 10 ans, et la remise totale des peines a été accordée aux personnes condamnées définitivement à des peines inférieures ou égales à 10 ans ou âgées de 55 ans et à des femmes dont l’incapacité physique était égale ou supérieure à 50% ainsi qu’à tous les mineurs âgés de moins de 18 ans.

Commentaire: Cette mesure de grâce a été décrétée une année et 5 mois après l’attaque du pays par des réfugiés lors de la guerre du 1er octobre 1990, et 3 mois seulement après l’amnistie du 13 décembre 1991.

Les nouvelles idées opèrent le changement !

Le Médiateur du Projet-DVJP 

Projet indépendant et politiquement neutre

Vous pouvez découvrir les nouvelles idées pour réussir la réconciliation proposées par MUSOMESHA Aloys, médiateur et responsable de ce Projet, en cliquant ici (voir les articles énumérés au point I ). Faites connaître ces idées autour de vous !