Benoît Guillou, Le pardon est-il durable? Une enquête au Rwanda

By | décembre 27, 2014

LE PARDON EST-IL DURABLE? », UNE ENQUÊTE AUPRÈS DE VICTIMES ET AUTEURS DU GÉNOCIDE.   Interview réalisé par la Fondation Hirondelle

Lausanne, 10 décembre 2014 (FH) – Dans son livre « Le pardon est-il durable ? Une enquête au Rwanda », publié en novembre dernier aux Editions François Bourin, le journaliste français Benoît Guillou reconstitue dans un langage clair des scènes de pardon en laissant le plus possible la parole aux acteurs – victimes ou auteurs du génocide des Tutsis de 1994. L’enquête se déroule en grande partie au village de Musha, à la sortie de Kigali. Le sociologue parle de son ouvrage dans une interview à l’Agence Hirondelle.

 

Hirondelle : Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

Guillou : Je suis persuadé que pour mettre un terme aux violences cycliques, la lutte contre l’impunité est un élément essentiel. Maintenant, si la justice fonctionne, elle permet de juger les gros poissons. Comment faire au Rwanda ou en ex-Yougoslavie où la participation de la population civile aux massacres a été massive ? Dans ce contexte, j’ai voulu enquêter sur le rôle des Eglises  chrétiennes dans les processus de paix et plus précisément dans quelle mesure le « pardon » peut, ou pas, contribuer à une paix durable.

Hirondelle : Avez-vous rencontré des survivants qui ont réellement pardonné aux bourreaux des leurs ?

Guillou : Il arrive qu’une relation de pardon s’établisse volontairement entre un rescapé et un génocidaire. Ma recherche s’appuie sur plusieurs séjours au Rwanda. Dans l’un des chapitres, je décris et j’analyse l’histoire d’une relation de pardon entre une mère et l’un des assassins de ses fils.  Ce type de pardon est exceptionnel mais pas anecdotique, il a une portée symbolique.

Hirondelle : Les aveux sont-ils vraiment sincères ou sont-ils superficiels ?

Guillou : Durant mon enquête dans les prisons, j’ai pu conduire une série d’entretiens avec des détenus et revenir sur la pratique du plaider coupable mise en place par les autorités afin de réduire le nombre considérable de détenus. On rencontre dans le milieu carcéral des prédicateurs zélés proposant un pardon « clé en main », laissant peu de place à la discussion et utilisant des citations bibliques pour frapper les esprits. En l’espace de dix ans, de 1996 à 2006, 146 000 aveux de participation au génocide auraient été enregistrés selon les autorités, environ pour moitié dans les prisons et pour moitié sur les collines. Sans une imbrication de décisions politiques, de mesures juridiques et d’interventions religieuses, les résultats n’auraient vraisemblablement pas été aussi rapides et importants quantitativement. On peut effectivement s’interroger sur la sincérité de ces démarches : l’aveu et la demande de pardon prennent alors un caractère routinier et deviennent souvent un objet de marchandage, voire de chantage.

Hirondelle : Quel rôle ont joué les Eglises dans le processus de pardon ?

Guillou : Après le génocide, le rôle des Eglises, et tout particulièrement celui de l’Eglise catholique, suscite une controverse en raison de la proximité politique qu’entretenait sa hiérarchie avec l’ancien pouvoir, de la préférence ethnique accordée aux Hutus dans les promotions ecclésiastiques, du silence des évêques sur les discriminations et les violences perpétrées à l’encontre des Tutsis entre 1959 et 1990. Néanmoins, l’Eglise catholique n’est pas un bloc monolithique. Durant le génocide, dans la même assemblée de fidèles et de membres du clergé, certains ont été tués et d’autres ont pris part aux massacres. Aujourd’hui, l’Eglise catholique reste un acteur influent, souvent considérée comme l’institution la plus puissante après l’Etat.  Elle place la pratique du pardon au centre de son programme pastoral. Lors du jubilé des 2000 ans du christianisme et du centenaire de sa présence au Rwanda, les évêques entament un mea culpa mais celui-ci reste prudent et timoré. En revanche, sur les collines, il arrive que de petits groupes de fidèles, unis par des convictions religieuses et des liens de voisinage, modifient leur régime communautaire pour créer un espace de parole, d’écoute, voire de solidarité. Le langage chrétien courant, souvent appauvri ou irénique, acquiert alors une force dès lors qu’il prend en compte la réalité conflictuelle de la vie sociale. Dans ce cas, la pratique du pardon permet un apprentissage de la citoyenneté. Il permet de voir et d’agir autrement afin de surmonter au mieux les impasses aussi bien du côté tutsi que du côté hutu.

Hirondelle : Les victimes ne sentent-elles pas, en quelque sorte, forcées par leurs leaders religieux à pardonner?

Guillou : Il est certain que, très souvent, la pratique du pardon apparaît comme un instrument de contrainte et de défense d’intérêts particuliers, un acte que l’on cherche à extorquer. Son sens est facilement détourné pour produire de l’unité à tout prix, masquer des opérations de dénégation ou de déni de justice. En conclusion, je propose quatre figures principales du pardon dont un pardon-coercition qui témoigne d’un rapport de domination et fait l’objet de pressions politiques, religieuses et sociales.
Qu’il s’agisse de l’Etat ou des Eglises, les impératifs de ces institutions semblent parfois converger : « il faut » se réconcilier pour maintenir la cohésion sociale. Au moment de l’instauration des juridictions gacaca, le président Paul Kagame, lui-même, recourt à un lexique religieux et engage une institutionnalisation du pardon. On assiste ainsi à des usages éminemment politiques de la notion. Une notion qui renvoie à tout et son contraire, selon la personne qui l’emploie et ce qui est attendu en échange.

Hirondelle : Quels sont les principaux obstacles à la réconciliation entre victimes et bourreaux ?

Guillou : Dans un pays de la taille de la Bretagne, Tutsis et Hutus continuent de cohabiter au quotidien. Ils se saluent et se parlent au marché, sur les chemins, à l’Eglise ou au temple. Pourtant, malgré ces apparences ou tentatives de normalisation, un abîme sépare l’avant et l’après-génocide. Dans le livre, je scrute les défis du vivre ensemble en pointant de nombreux non-dits. Par ailleurs, au Rwanda et dans la région des Grands Lacs, le paysage politique demeure extrêmement polarisé, notamment entre des idéologues hutus niant la réalité du génocide et les autorités, le FPR (ndlr : Front patriotique rwandais, au pouvoir), censurant ou minorant les crimes commis par leur camp. Si le Rwanda a accompli des progrès rapides en termes de développement économiques, éducatif ou encore dans le domaine de la santé, la situation des droits humains demeure inquiétante. A l’instar de son modèle asiatique, Singapour, les autorités exercent un contrôle strict sur la vie sociale et politique. De nombreux rapports d’ONG de défense des droits de l’Homme détaillent les dérives autoritaires du régime. Aujourd’hui, la plupart des journalistes et des représentants de la société civile se résolvent à l’autocensure par peur d’être harcelé, voire arrêté, plusieurs ont choisi la route de l’exil.

Hirondelle : Pensez-vous faire traduire le livre en kinyarwanda pour qu’il puisse être lu par ceux que vous avez interrogés ?

Guillou : Un beau projet, maintenant il s’agirait de trouver les moyens financiers. Tout au long de mon travail, j’ai voulu donner la parole le plus systématiquement possible aux acteurs, qu’il s’agisse des victimes ou des auteurs de massacres.

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A lire aussi:
1. Réforme – « Accepter de ne pas être d’accord, et laisser une place à l’autre », n° 3585, 20 novembre 2014.
2. Le pardon à l’épreuve. Une enquête au Rwanda, par Benoît Guillou – La lettre de Justice & Paix
3. Benoît Guillou, Le pardon est-il durable. Une enquête au Rwanda – extraits du livre
4. La Chronique d’Amnesty International, Rwanda – vivre l’après génocide, octobre 2014.
5. Faim et Développement –  »Le pardon est-il possible après un génocide » , n. 284, Novembre – Décembre 2014.

A lire ou écouter:
France Culture – Le pardon est-il durable? Une enquête au Rwanda

 

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