Partout, la Société civile est aujourd’hui au centre des débats sur les transitions démocratiques. Si en Tunisie, la Société civile fut, au prix fort, couverte de succès jusqu’à obtenir le Prix Nobel, ailleurs notamment en Afrique subsaharienne, la Société civile est objet de controverses et de violentes critiques. Son usage y paraît souvent inapproprié, sinon incantatoire et propice à toutes sortes d’instrumentalisations idéologiques.
Si on considère que la Société civile est le corps social par opposition à la classe politique, on peut comprendre facilement le discrédit de la Société civile rwandaise. Ce discrédit est en effet à l’image de celui de la Société politique. Celle-ci a perdu son âme dans les tranchées de la guerre du pouvoir et pour le pouvoir, qui a réveillé les démons de la haine ethnique et aggravé les divisions régionales.
Au fil des dérives médiatiques et politiciennes, la démocratie et la bonne gouvernance furent prisonnières des querelles au sommet de l’Etat et ont relégué au second plan les ambitions pour le pays et les aspirations du peuple. Les ambitieux ont mis entre parenthèse le Pluralisme de représentation qui permet à toute population de se sentir engagée dans toute sa diversité.
L’autisme politique dont ont souffert et souffrent encore les dindons de la farce est un facteur gravissime dans ce paysage socio-politique brumeux.
Hier porte-parole d’une opposition armée et non armée, la Société civile est la plus grande victime des affres de la guerre et ses tragiques conséquences. Les acteurs de la Société civile furent des cibles privilégiées des milices paramilitaires. Ils sont aujourd’hui réduits au silence. Ils souffrent fort des après-guerre. Leur traumatisme se mesure aux actes qu’ils posent et qui n’ont pas assez d’échos. Certaines Associations de la Société civile et politique proche du pouvoir n’ont pas survécu à la nouvelle donne politique qui étouffe tout le monde. En exil -du moins pour les plus chanceux-, certains acteurs ne sont pas encore sortis du traumatisme. Et pourquoi pas des remords? La guerre est mauvaise pour tout le monde. La démocratie est dans l’eau.
Le discrédit de certaines Associations est trop fort à tel enseigne qu’elles agissent en désemparées. Hier formées, subventionnées et mieux écoutées par les vieilles démocraties, ces Associations prêchent aujourd’hui dans le désert. Souvent elles sont obligées de prendre des postures plutôt que des positions.
Face à elles, des Associations des Rescapés plus influentes, plus réactives et plus offensives pour rendre inaudibles les Associations adverses et intimider, voire atomiser toute vérité qui ne plaît pas. Autant dire que la Réconciliation, que tout le monde souhaite, qui est chantée ex catedra et qui devrait être un Combat commun est devenue une affaire de discorde et de propagande. Les Associations qui osent initier des actes dans le sens de la Réconciliation, mais contraires à ceux des Associations-sœur proches du pouvoir sont vite objet de critiques violentes et diffamatoires. Il en est de même au sein des formations politiques. Dans ces conditions, la posture idéale est d’agir en désemparé face aux chantres d’un pouvoir paranoïaque, rigide et froid.
Le discours de la Société civile et politique ne porte plus. Et le plus grand obstacle; c’est aussi la peur que, selon la Société civile et politique, les populations ont face du pouvoir. « N’ayez pas peur »; leur dit-on! Le pouvoir dont elles dénoncent les dérives dictatoriales les ignore ou feint les ignorer. Au vrai, ce qui manque c’est l’intelligence politique et la réflexion politique qui doivent sous-tendre le courage pour dompter la peur. Il faut une vie associative qui prend des risques réfléchis. Car, on l’a vu; prendre le risque pour le prendre, c’est se mettre en danger et y entraîner d’autres Êtres humains. L’impasse est absolue. Et elle durera autant que les montagnes durent, si on continuait de geindre. Il faut une Société civile qui réfléchit sur ses fondements et ses fondamentaux; qui sait éviter la confusion entre elle et l’ensemble des citoyens et les Associations sensées représenter leur volonté.
Car, au vrai, il n’y a de Société civile que celle qui applaudit les bêtises du pouvoir qui s’arroge tous les droits du citoyen, y compris celui de disposer de ses libertés fondamentales. Rien n’existe pour aiguillonner les satrapes au perchoir du pouvoir et pour faire bouger les lignes. Parce qu’il n’existe de Société civile que celle qui leur est inféodée. Parce qu’il n’existe que de groupuscules prisonniers des rivalités qui rendent peu crédible toute action socio-politique. Le discrédit est trop fort. Mais il n’est pas l’apanage exclusif de la Société civile et politique rwandaise.
Si voir vrai est voir clair, alors la Société civile doit éviter d’être une supplétive de la classe politique. Elle doit se regarder dans le miroir. Elle ne doit ni craindre ni suivre comme des moutons de Panurge les sirènes venues d’ailleurs. La défense des droits et des libertés ne discrimine pas. Il est temps de penser de nouvelles stratégies qui engagent une réelle Réconciliation des politiques avec les acteurs sérieux d’une Société civile capable de rompre avec tout engagement politique trop mal vu par la population.
Il faut tout mettre en œuvre pour modifier la donne politique du moment. Cette obligation est morale et passe par la mise en action d’une démocratie réellement représentative de la diversité de la population et le renouvellement des élites politiques. Car, une démocratie de l’instant est dangereuse.
Enfin, il faut un Forum ou une plateforme de Sociétés civiles pour réfléchir et trouver des solutions aux problèmes qui se posent. Ainsi un autre Rwanda est possible!
Alphonse Bazigira
Journaliste politique
Sur le même sujet, en Kinyarwanda, vous pouvez aussi écouter ou lire ces exposés présentés par Aloys Musomesha:
Niduharanire politiki mpuzabanyarwanda
Umuryango uharanira inyungu za Rubanda (Société civile) mu nzira y’ubwigenge n’ubwiyunge nyakuri
Amashyirahamwe n’amadini nayo yubaka demokarasi
Ubutabera mpuzabantu ni iki? Abanyarwanda twakwiyunga dute ?