Le problème de la réconciliation est politique. La crise politique au Burundi et sa gestion est entrain de devenir un cas d’école. Rien n’est négligé pour lui trouver une gestion politique qui relève de la Raison raisonnable.
Un conflit violent, notamment celui du pouvoir et pour le pouvoir, laisse derrière lui, un gâchis social et humain. Une réconciliation s’impose par des lois, à condition que certaines lois écrites par un Gouvernement pastconflit ne soient scélérates. Même les Commissions d’unité, les commissions Vérité et réconciliation ont des limites dans leurs démarches pour construire une véritable réconciliation.
Dans le cas d’une guerre, il faut d’abord enterrer définitivement la hache de guerre. Et de ce conflit violent et ses conséquences, tirer des enseignements intelligents, afin d’éviter que « la politique de réconciliation » ne soit qu’une affaire de propagande qui dissimule les causes et les raisons du conflit.
Il faut prendre du recul. Il faut tenir compte des points de vue des autres et surtout de leurs souffrances. Si non, on augmente les tensions quand chaque partie campe sur ses positions. Souvent le silence est trop bavard. Il faut aussi l’écouter et en tenir compte. Dans le cas d’un conflit violent, il faut aussi comprendre qu’il est mauvais pour tout le monde et que les après-conflit ou après-guerre ne sont toujours pas fraternels. Les luttes pour les libertés ne sont pas nécessairement violentes ou militaires.
Tout l’enjeu consiste alors de se mettre à la place de l’autre et d’accepter qu’une personne différente peut aussi penser différemment sur le conflit et surtout sur ses conséquences. Et enfin de comprendre que malgré les divergences, il est possible, voire plausible de s’entendre. Il faut tabler sérieusement sur les CAUSES et les RAISONS du conflit parce que les raisons apparentes peuvent cacher les causes plus profondes. Et résoudre les causes apparentes ne suffit pas pour cheminer vers une conciliation et surtout vers une véritable Réconciliation. Il faut engager un dialogue franc, et, le cas échéant un dialogue inclusif, et tâcher d’expliquer les comportements des uns et des autres pendant le conflit.
Il faut éviter d’imposer sa Raison ou, dans le cas d’une victoire, d’accorder trop d’importance à sa victoire, mais rechercher un terrain d’entente et écarter les stratégies permanentes de compétition ou d’affrontement, qui met face à face le « gagnant et le perdant ». Personne ne traverse une telle épisode sans dégât. Les cœurs brisés se ressemblent. Il faut créer un esprit propice à la conciliation et à la réconciliation. Car du doute de ses capacités à se réconcilier, résulte le fait que le conflit soit synonyme d’impasse absolu.
La réconciliation est un gros mot. C’est un projet politique à long terme. Il ne faut pas se dérober devant lui. La Réconciliation suppose la reconstruction de la politique et de la Société. Ce devoir incombe aux nouveaux acteurs, héritiers des violences passées (dont ils sont en partie responsables!) et de la reconstruction des relations brisées par le conflit. Ce problème est l’un des plus difficiles de l’après-guerre.
L’histoire du Rwanda et du Burundi, pays plus voisins qu’amis, (on ne choisit pas son voisin, on choisit son ami!), a connu des Coups d’Etat, réussis ou éventrés. Ces Coups d’Etat ont fait des victimes, des prisonniers et des exilés. Et on sait que les militaires utilisent la manière forte. Ils déposent les régimes civils. Ils promettent ou non, de remettre le pouvoir aux civils, après avoir nettoyé les Ecuries d’Augias. Les militaires recourent aux civils pour imposer leurs lois. Les militaires font faire des élections dans lesquelles ils sont élus. Rares sont les militaires qui ont fait évoluer la démocratie. Puis il y a les rebellions armées. Celles-ci sont violentes, voire criminelles. Au pouvoir, les anciens rebelles n’ont d’autres choix que d’être anti-démocratiques.
Les anciens rebelles devenus des hommes et des femmes politiques et d’Etat sont incapables de se transformer en démocrates. Ils ne peuvent pas construire un pays démocratique. Entre la Loi du plus fort et les aspirations des peuples à la démocratie, c’est la liberté qui opprime. Dans ces conditions, peut-on construire un pays démocratique dont le régime est capable de gestion politique des conflits qui le menacent? Dans un pays démocratique ou celui qui lui ressemble, la démocratie ne se limite pas à la politique, mais s’étend aussi au domaine social. Cela peut aider à la réconciliation. La démocratie ne nie pas la réalité des conflits dans des Sociétés comme celles du Burundi et du Rwanda. La démocratie doit considérer que la solution de ces conflits doit passer par des compromis viables. C’est le sens des Accords de paix pour le Rwanda et pour le Burundi. Certes, ces compromis ne sont pas parfaits mais ils sont encore préférables aux guerres sans fin. Leurs défauts sautent aux yeux. Ils ne sont pas à l’image des règles qui gouvernent les relations entre deux pays ou deux régimes démocratiques, et ne prônent pas assez la mise en œuvre de toutes les procédures de la négociation entre les différents acteurs de la Société.
Il sied de souligner que les conflits actuels sont aussi de nature socio-économique. Et il y a toujours un lien entre la démocratie et les questions socio-économiques. Les questions ethniques ne sont que de tremplins pour tous les ambitieux sans ambitions pour leur peuple et leur pays. Plus entichés d’ethnisme qu’affidés des idéaux démocratiques, ils n’ambitionnent que le pouvoir et les biens matériels et immatériels y afférents. Une fois au pouvoir, ils renouent avec les inepties qu’ils ont prétendu combattre.
Les manifestations, les répressions dans Bujumbura, capitale du Burundi, et la sérénité affichée par des populations sur leurs collines sont un éclair intéressant et très éloquent. Cette situation met en exergue une démocratie caractérisée par une faiblesse qui se traduit par le désenchantement social. Cela démontre que certains régimes sortis des conflits violents sont incapables de résoudre le problème de la pauvreté, de gérer le changement de régime politique (du régime jugé autoritaire et corrompu au régime démocratique). Les opposants exilés, espèrent que certaines métropoles occidentales qui prennent des sanctions contre un régime et en réalité contre un peuple qui a besoin de tout sauf le désordre, en feront des « rois démocratiques ». Et enfin, on l’a vu, de tels régimes sont aussi incapables de gérer le progrès économique pour l’étendre sur les collines. Ils ont des difficultés de passer d’une économie de guerre à une économie de paix.
Les questions fondamentales qui se posent consistent à savoir si, au Burundi et au Rwanda, il existe une gestion démocratique des conflits. La réponse est Non. Si oui, le régime du président burundais, Pierre Nkurunziza ébranlé par les manifestations et les frondeurs en exil, qui font d’une ethnie menacée de génocide leur cheval de Bataille, aurait dû anticiper, ou du moins éviter que les incompatibilités et les susceptibilités au sommet de l’Etat ne dégénèrent en crise politique qui s’est mue en grave crise institutionnelle. Au Palais de la République du Burundi, ses incompatibilités et des susceptibilités entre Président Hutu et son vice-président Tutsi ont eu des difficultés à gouverner ensemble, ce dernier proche de l’ancien président putschiste multirécidiviste Pierre Buyoya se voulant plus rival que vassal.
Le coup d’Etat éventré fut salué, à Bujumbura et ailleurs, par des avocats indécents et peu démocratiques. Il n’était pas non plus une solution. Les manifestations dans les rues de Bujumbura ont ébranlé un régime qui bénéficie de plus de soutien populaire au Burundi que de soutien en occident. Un mandat supplémentaire, même illégitime aurait discrédité un président qui, fidèle aux messages de feu Melchior Ndadaye à ses bourreaux: « Vous tuez Ndadaye, vous ne tuez pas les Ndadaye », eut raison d’une armée putschiste en rébellion contre la démocratie.
Les dérives supposés au pouvoir central de Bujumbura peuvent-ils donner droit à qui que ce soit d’inciter ou de souhaiter que les populations se rentrent dedans en vue de commettre l’irréparable? Peut-on sans folle outrecuidance croire que l’avenir ne pourra pas juger ces comportements des politiques qui manipulent les ethnies et appellent à la violence? Les déviances des politiques rwandais ne servent plus d’enseignements aux hommes politiques du pays voisin. Seules des inconscients politiques font recours aux raccourcis pour dégrader à jamais l’image de leur peuple et de leur pays, pas besoin de semer la haine pour accélérer la chute d’une dictature. La haine est le pire des tombeaux. Le comble des malheurs pour les pauvres populations, c’est de constater qu’on leur a imposée une dictature plus redoutable que la précédente. Les peuples dans leurs diversités, méritent mieux: par leur lucidité, les peuples doivent pouvoir résister aux sirènes. Le peuple burundais habitué à une série de violences ethniques à intervalles réguliers aspire à la paix et veut que ses aspirations démocratiques soient respectées par tous.
Le Rwanda a raison de s’inquiéter de ce qui se passe au Burundi voisin… Quand un voisin tousse, tu éternue. Les événements tragiques au Rwanda ont impacté le Burundi. La crise actuelle au Burundi exige qu’on s’y penche pour éviter ses répercussions sur le Rwanda. [...] Les tensions sont palpables. Il faut de la modération afin d’écarter toute escalade dangereuse. L’ingérence étrangère, comme toute politique, est un devoir moral. Mais elle doit être l’art du possible. Avant d’intervenir, de faire entendre sa voix ou d’exercer des pressions politiques et économiques, l’ingérence étrangère doit au préalable, examiner et juger les rapports de force et, pour quoi pas, les rapports de nuisance à la base. Le cas du Burundi qui rappele le cas du Rwanda des années 90, où l’ingérence étrangère fut plus nuisible que salutaire. Il faut tenir compte des susceptibilités et des sensibilités profondes des populations et éviter de les froisser. Face à ses opposants souvent va-t-en-guerre, un pouvoir, même dictatorial a plus besoin d’aide que de boycott. Les ingérences étrangères dans tel conflit ou tel autre doivent tout faire pour éviter de rater l’épreuve de vérité. Dans ces conflits, ce sont les populations incitées à s’entredéchirer qui trinquent le plus.
Il faut pour le Rwanda et le Burundi, examiner et identifier les entraves à l’efficacité et à la réussite de la gestion par la démocratie, des conflits du pouvoir et pour le pouvoir. Ces conflits sont là. Ils sont latents. Ils sont différés.
En conclusion, les élites plus entichées à l’ethnisme que fidèles à leur peuple et à leur pays doivent interroger leur conscience. Il est vrai que la raison est moins forte que l’intelligence. Les hommes politiques doivent cesser d’utiliser les ethnies pour créer des désordres dont les populations sont les premières victimes et ensuite se transformer en chantres de la réconciliation et de la démocratie. C’est aux élites politiques de savoir se réconcilier avec la démocratie, sans laquelle la réconciliation n’est pas possible. Deux peuples sortis des affres des conflits sanglants. Au lieu de se contenter des pardons demandés qui sont nécessaires mais font polémiques, les deux peuples doivent d’abord se doter de régimes démocratiques permettant, non seulement une expression sociale des conflits mais aussi une gestion politique de ces conflits. Mais demain n’est pas la veille!
Alphonse Bazigira
Démocratie, où es-tu dans cette nuit ? Qui es-tu, que fais-tu de jour ? Le beau temps. Et que deviens-tu la nuit ? L’illusion en série!
Illuminatio et salus populi. D’abord la Lumière, la politique ensuite, et puis le pardon. Dans la noirceur, l’enfer perdure. Allumons la lumière, sur les faits et les CAUSES des conflits, sur le génie organisationnel d’une société. De cette clarté jaillira le don du pardon.