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La médiation: une justice appropriée pour le règlement du conflit ethnique rwandais.

« Dans de nombreux pays, le mécontentement et la frustration engendrée par le système judiciaire ainsi que le regain d’intérêt porté à la préservation et au renforcement des pratiques coutumières et traditionnelles ont conduit d’aucuns à appeler de leurs vœux de nouvelles réponses à la délinquance et aux troubles sociaux ».

Organisation des Nations Unies (ONU)

Dans la tradition rwandaise, au niveau de la famille et selon la coutume, quand il y a une bagarre entre deux frères ou sœurs, le grand-frère ou la grande sœur va s’interposer entre eux pour arrêter le combat. Ces derniers vont lui raconter l’origine du conflit et pourquoi ils (elles) se sont battu(e)s. Le grand-frère ou la grande sœur va les écouter et tentera de régler ce différend mais sans les « juger ». En cas de refus de leur part, il(elle) les conduira devant leurs parents qui se chargeront en dernier lieu de les (ré)concilier, en conseil de famille, en leur rappelant les valeurs de respect et de cohabitation ainsi que les interdits sociaux qu’ils ont violés (kubahanura). Tout en reconnaissant la part de responsabilité de chacun dans le conflit, le grand-frère ou la grande sœur et les parents vont faire en sorte que les enfants disent la vérité, qu’ils comprennent et reconnaissent leurs torts et leurs responsabilités respectives, qu’ils s’engagent à ne plus recommencer le même conflit. Ils vont laver le linge sale en famille, car ils ne feront appel à aucune personne étrangère sauf, en cas de nécessité, les membres de la famille élargie (oncles, tantes, etc). Personne ne prendra partie pour l’un ou de l’autre enfant, pour ne pas casser l’unité de la famille. Sans rancune, les enfants retourneront jouer ensemble.

1. La justice ordinaire face au conflit politique et ethnique rwandais

Tout au long de l’histoire rwandaise, les concepts hutu, tutsi et twa appelés « ethnies » ont acquis une connotation politique. Ces groupes ne sont pas des communautés à part entière car il n’y a qu’une seule communauté rwandaise. Ainsi donc, dans un conflit ethnique opposant un Hutu et un Tutsi par exemple, quand cette affaire est portée devant un juge rwandais appartenant à l’une de ces deux « ethnies », il y a le risque que celui-ci puisse être juge et partie. Même en étant impartial, son jugement pourra être entaché d’irrégularités dues à des faux témoignages des personnes dont l’intervention serait uniquement motivée par la solidarité ethnique avec les parties au procès. Un crime ethnique contre un hutu ou un tutsi affecte donc les autres membres du même groupe que la victime tellement qu’ils se sentent eux aussi victimes indirectes des mêmes faits, même s’ils n’auraient pas été commis avec l’intention de nuire à tout le groupe. Mais, le peuple rwandais a connu les drames où les crimes à caractère ethnique ont été commis par certains membres d’un groupe contre une masse de la population appartenant à l’autre groupe ethnique. Tous les membres du groupe ethnique des victimes lésées – même ceux qui n’ont pas été touchés directement – revendiquent aussi le statut de victimes. Certains d’entre eux ont tendance à culpabiliser tous les membres du groupe ethnique des bourreaux, en leur imputant aussi la responsabilité. Cette globalisation est très dangereuse pour la justice et la réconciliation rwandaises. Pour la justice, la responsabilité pénale doit être personnelle à l’auteur des faits incriminés et la qualité de victime n’appartient qu’à l’individu ayant subi personnellement l’offense. Par conséquent, seule la personne ayant commis l’infraction doit être jugée et seule la victime ayant subi les faits délictueux a droit à la réparation du préjudice.

Qu’en est-il de la justice internationale, c’est-à-dire celle qui est rendue par les juges étrangers non rwandais? Le conflit ethnique rwandais a dépassé les frontières de l’Etat rwandais tellement qu’il a créé aussi des tensions entre ses propres citoyens et les étrangers. Malgré qu’ils ne soient pas membres de la communauté rwandaise – et donc qu’ils ne sont pas hutu, tutsi ni twa – même les juges internationaux ou des tribunaux des pays étrangers ne sont pas à l’abri des critiques. Ces juges peuvent être influencés par des fausses déclarations des personnes dont l’intervention peut être motivée par la solidarité ethnique avec les parties au procès, ou par des pressions politiques de tous bords exercées sur les témoins par exemple. Ils peuvent être critiqués soit par les parties aux procès, soit par une partie du peuple rwandais ou une partie de l’opinion publique étrangère. La confiance est mise en cause aussi pour cette justice qui devrait jouir d’une bonne réputation de neutralité et d’impartialité.

Le fait que le principe de l’indépendance de la justice ne peut pas être pleinement respecté est une autre conséquence du caractère politique du conflit ethnique rwandais. Et cela peut aisément se comprendre car cela découle même du fait qu’à la base, ce conflit a toujours été créé par des idéologies politiques. Le vivre ensemble des rwandais a souvent été mis en péril par certains politiciens qui ont utilisé l’ethnie comme une arme politique pour accéder et se maintenir au pouvoir. Dans leurs campagnes à la recherche du soutien de la population, leurs discours ont été centrés sur la solidarité ethnique de leurs « partisans », leur souffrance et la discrimination – réelle – que leur ont infligée les responsables du camp politique opposé, tout au long de l’histoire. Ces politiciens se sont considérés comme les défenseurs de leurs groupes ethniques respectifs, en insistant sur leur qualité de victimes. Pour leurs intérêts politiques, ils ont manipulé les citoyens ordinaires, les ont divisés en propageant l’idéologie de la haine ethnique des uns contre les autres. Ainsi, la carte ethnique était jouée… La politique a donc été toujours ethnicisée.

2. La médiation par la justice réparatrice: une voie de solution

« La médiation est émancipatrice dans la mesure où elle est une instance privilégiée pour entreprendre la séparation entre le droit et l’État ». FerNando Carvajal Sánchez

Compte tenu de ces considérations, il faudrait envisager une autre solution pour que n’importe quel citoyen rwandais (hutu, tutsi ou twa) puisse avoir droit à une bonne justice. Le conflit politique et ethnique rwandais devrait être réglé dans un contexte communautaire. Le peuple rwandais forme une seule communauté: elle a une même culture et parle une même langue. Il n’existe pas de « communautés ethniques » rwandaises, comme certains le disent en comparant ces « ethnies » à des communautés linguistiques d’autres pays. A cause, notamment, de l’influence de la civilisation belge – par la colonisation – sur la culture rwandaise, on est souvent tenté de comparer les communautés linguistiques belges « néerlandophone, francophone, germanophone » qui sont réparties en régions distinctes, avec ce qu’on a toujours appelé groupes ethniques « Hutu, Tutsi, Twa » alors que ces derniers ont une même langue, une même culture et habitent ensemble dans toutes les régions du Rwanda.

Par des programmes de justice réparatrice, les instances de médiation renforceraient les instances ordinaires de justice et aideraient les protagonistes à résoudre eux-mêmes leurs différends, toutes qualifications confondues, et ceux à caractère ethnique en particulier. Puisque, de part le caractère de neutralité de leurs fonctions, les médiateurs et conciliateurs n’ont aucun pouvoir de décision, leur appartenance à un groupe ethnique – hutu, tutsi ou twa – n’aurait aucune influence sur l’accord à intervenir entre les parties à l’issue du processus de médiation. De ce fait, aucune pression politique ne pourra être exercée sur eux. De même, puisque le dialogue serait mené par les parties elles-mêmes, aucune ingérence extérieure ne viendrait influencer leur accord. Ce système offre aussi des garanties d’impartialité et de confiance: les parties ont le pouvoir de régler leur conflit et de trouver un accord, choisissent elles-mêmes un médiateur ou un conciliateur et ces derniers n’ont aucun pouvoir de décision (ils sont neutres et ne sont pas des juges).

Dans son manuel sur les programmes de justice réparatrice (2008), l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime définit la justice réparatrice comme un processus par lequel on combat la délinquance en réparant le mal fait aux victimes, en rendant les délinquants comptables de leurs actes et, souvent, en associant la communauté à la résolution du conflit. La participation des parties est un aspect essentiel de ce processus, qui place l’accent sur l’établissement d’une relation, sur la réconciliation et sur la recherche d’une entente entre les victimes et le délinquant (page 6). Les objectifs de la justice réparatrice sont les suivants:

  • rétablir l’ordre et la paix locale et retisser les liens endommagés;

  • dénoncer le comportement criminel comme étant inacceptable et réaffirmer les valeurs de la communauté;

  • aider les victimes, leur donner la parole, leur permettre de participer et répondre à leurs besoins;

  • inviter toutes les parties concernées, en particulier les délinquants, à assumer leurs responsabilités;

  • définir une entente de réparation tournée vers l’avenir;

  • prévenir la récidive en invitant les délinquants à changer et en facilitant leur réinsertion dans la communauté (page10).

3. Et la réconciliation?

Il faut permettre aux responsables des actes criminels à caractère ethnique d’apprendre à demander pardon et aux victimes d’apprendre à pardonner. Car, il ne suffit pas seulement pour le délinquant d’avouer et de plaider coupable en justice. Pour la réconciliation authentique aussi entre les hutu et les tutsi, il appartient à l’auteur de l’infraction qui a été mis en cause de demander pardon à la victime et de renoncer à recommencer l’acte fautif (récidiver). C’est à la victime aussi qu’il revient de pardonner et de renoncer à la vengeance. C’est une conséquence logique du principe de la responsabilité pénale – cité plus haut – qui est personnelle. Le pardon est un mouvement de l’âme et du cœur et ne doit pas être commandé ni forcé. On ne peut pas commander l’amour à quelqu’un, disait Jean Monbourquette (Conférence sur le pardon, 1999). Ainsi, comme on ne doit être jugé pour des faits commis par autrui, on ne peut non plus demander pardon pour ces mêmes faits dont on n’est pas responsable. Le pardon demandé, volontairement ou par obligation, par quelqu’un qui n’a pas commis la faute, est un faux pardon. Aussi, comme personne ne peut prétendre avoir droit à la réparation pour un préjudice qu’il n’a pas subi, pardonner une faute dont on n’est pas victime est aussi un faux pardon. Dieu seul a le pouvoir de pardonner les fautes de tout être humain.

 

Programme: « Médiation & Justice réparatrice »