Il y a quelques semaines, j’ai été abordé par un jeune belgo-rwandais qui m’a posé une question qu’il m’a été difficile de répondre à sa satisfaction : « Pourquoi les Hutu, les Tutsi et les Twa, qui sont des ethnies (races ?) distinctes voire antagonistes, partagent les mêmes clans. Par exemple, on peut trouver des Hutu, des Tutsi et voire des Twa dans le clan des “Abanyiginya“ ». Je lui ai promis de faire une petite recherche pour une réponse adéquate.
Dans ma démarche, un document m’a particulièrement intéressé. Il s’agit de la thèse du Pr Antoine Nyagahene soutenue à l’université de Paris 7 en 1997 et dont le titre est « Histoire et peuplement : ethnies, clans et lignages dans le Rwanda ancien et contemporain ». J’ai hâte de me le procurer.
Dans la présentation qu’on en fait sur le site « theses.fr », la motivation de la recherche est clairement posée : « Il demeurait difficile, en effet, de comprendre comment les Bahutu, les Batutsi et les Batwa, qui composent la population rwandaise, sont présents comme appartenant à des « ethnies » différentes alors qu’ils se retrouvent tous inconditionnellement au sein des mêmes clans patrilinéaires et sont disséminés sur un même espace territorial ».
En poursuivant la lecture de cette présentation, il est précisé qu’« il est […] formellement établi que les identifications ethniques rwandaises, réalités sociologiques mouvantes dans le temps comme dans l’espace, sont nées sur le sol rwandais même, au sein des identifications claniques qui leur sont, de loin, historiquement antérieures ; ce qui explique pourquoi tous les Rwandais aujourd’hui, Hutu, Tutsi et Twa, au-delà de leurs clivages et de leurs conflits, partagent non seulement la même culture, la même langue, le même territoire, mais aussi les mêmes entités parentales, en l’occurrence les clans et les lignages ».
Pour Nyagahene, avant de s’identifier comme Hutu, Twa ou Tutsi, les Rwandais se sont d’abord identifiés en termes de clans et ceux-ci sont donc antérieurs aux ethnies.
Marcel d’Hertefelt, dans « Les clans du Rwanda ancien. Éléments d’ethnosociologie et d’ethnohistoire », [Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, 1971] recense les principaux clans (amoko) du Rwanda : Abasinga, Abasindi, Abazigaba, Abagesera, Abanyiginya, Abega, Ababanda, Abacyaba, Abungura, Abatsobe, Abakono, Abaha, Abongera, Abenengwe, Abahondogo). Comme vu plus haut, chaque clan regroupe en son sein les trois ethnies (amoko) : Hutu, Tutsi, Twa. Vous aurez remarqué qu’en Kinyarwanda, clans et ethnies sont dits « amoko », une confusion sur laquelle nous reviendrons.
Jusque-là, nous n’avons pas encore la réponse à la question posée. Poursuivons avec les explications du père Léon Delmas, auteur du livre : « Généalogies de la noblesse (les Batutsi) du Ruanda », publié à Kagbayi en 1950 [p. 4].
D’emblée, ce prélat affirme qu’il y a 3 races au Rwanda : Bahutu, Batwa, Batutsi. Pour lui : « La fortune ou la misère ont été la raison de la hausse des uns et de la baisse des autres ».
S’agissant des clans qui englobent les ethnies, il dit : Si un hutu acquiert la fortune grâce à la vassalité (ubugaragu), il pouvait se marier avec une fille tutsi ; ou son patron, pour s’attacher à ses services, pouvait lui offrir sa fille en mariage. Après quelques générations, les enfants nés de ce mariage seront considérés comme des Tutsi, alors que leur clan est d’origine Hutu.
Une autre explication par le mariage est le « gutahira » : une famille n’ayant que des filles pouvait admettre qu’un homme épouse leur fille et reste dans la famille. Il devient l’enfant de la maison et ses enfants auront le clan du grand père [Gaspard Musabyimana, Sexualité, rites et mœurs sexuels de l’ancien Rwanda, Bruxelles 1999, p.81].
Delmas poursuit : « Si les Batutsi de race étaient pointilleux et même puristes pour le choix d’une épouse officielle, dans la vie privée, ils n’avaient d’autre règle que la satisfaction de leurs passions. Il suffisait qu’un Mwega, Munyinginya ou autre eût des relations avec une servante, voisine, ou fille d’un mugaragu (vassal) pour que l’enfant qui naissait porte le nom du clan du père. Ces enfants grandissaient dans leur milieu, y faisaient des alliances et ainsi se créaient des familles Bega ou Banyiginya Bahutu. »
Une autre explication est le système de servage en vigueur dans l’ancien Rwanda. Selon Delmas : les Hamites [Tutsi] étaient des patrons et les Hutu étaient des serfs qui, à force de se convaincre qu’ils appartenaient à tel ou tel hamite Mwega ou Munyinginya, finirent par délaisser leur clan d’origine Bazigaba ou Basinga, pour se dire Bega ou Banyiginya tout court.
D’autres procédés d’inclusion des ethnies dans des clans méritent d’être soulignés. Il s’agit des systèmes d’intégration lors des mouvements migratoires internes. Suite aux famines ou pour d’autres raisons notamment celles liées à la recherche de la sécurité, telle ou telle famille pouvait émigrer vers une autre région. Elle y cherchait une parcelle et construisait sa hutte. Il faisait connaissance avec les voisins qui étaient dans tel ou tel clan. Il n’avait pas intérêt à se singulariser et se fondait dans cette masse, en adoptant le nom de leur clan.
Un autre phénomène semblable à ce qui précède est le système d’« Abase », au singulier « umuse » c’est-à-dire « une famille accueillante ». Les Abase, selon le dictionnaire bilingue et encyclopédique Kinyarwanda-Français [Vol.1., Editions Sources du Nil – Fora vzw, 2018, p. 72], sont des membres d’un clan qui ont accompli un rite de purification après avoir accueilli sur leur territoire des membres d’un autre clan. Ce rite de purification était pratiqué dans diverses situations, dont notamment celle de l’installation des nouveaux arrivants qui adoptaient, pour leur facilité d’intégration, le nom du clan de la famille accueillante.
Christophe Ndangali, dans un récent ouvrage : « Rwanda. Ethnies, clans et problèmes socio-politiques »[Bruxelles, Editions Scribe, 2015], a traité de la question. Pour lui, les relations entre clan et ethnie au Rwanda peuvent s’expliquer comme suit : « Le clan est plutôt corporatif. Il a un chef. Il est comme un parti politique. Une ethnie n’a aucun chef. Une ethnie peut dominer un clan. C’est le cas des Tutsi qui ont dominé le clan nyiginya » [p.91].
Pour nous résumer, les clans sont antérieurs aux ethnies. Les Hutu, les Tutsi et les Twa se retrouvent dans un même clan par le truchement des mariages ; par le système de servage, le vassal adoptant le clan du patron ou par le phénomène d’intégration.
Gaspard Musabyimana
11/03/2020
Source: http://www.musabyimana.net/20200311-rwanda-comment-hutu-tutsi-et-twa-partagent-les-memes-clans-tentative-dexplication/
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Bonsoir Christophe et Gaspard
Je crois qu’il sera difficile de convaincre les Rwandais de lâcher prise sur leur ethnicité, mais quand les écrits scientifiques parlent, il ne faudrait pas que les uns croient être allé plus loin que les autres. Les thèses citées par Gaspard Musabyimana s’étalent sur plusieurs années de recherche et on ne peut que difficilement en contester la scientificité. Je crois qu’il est temps de sortir du piège ethnique (la différence entre hutu, tutsi et twa est loin d’être génétique, il s’agit simplement d’une construction politique d’apartheid) sinon le Rwanda est voué à la disparition. Voici le point de vue du Dr Innocent Nsengimana qui a récemment publié aux Editions Sources du Nil un ouvrage intitulé: « Histoire du Rwanda, désidéologisation et restitution des faits historiques »:
Les appellations « hutu », « tutsi » et « twa » face au système clanique au Rwanda.
Il est inconcevable d’envisager le système social rwandais en dehors de ses clans (Abazigaba, Abasinga, Abagesera, Abasindi…) et de ses groupes sociopolitiques « hutu », « tutsi » et « twa » dont ils sont l’ossature. Ils constituent les produits de son évolution au cours de son histoire.
La rencontre et la coexistence de ces deux éléments sur le territoire occupé par le Rwanda actuel ont créé un phénomène qui fut retenu dans l’historiographie rwandaise sous le nom de « multiethnicité des clans » ; plus explicitement, la présence dans un même clan de « Hutu », de « Tutsi » et de « Twa ». Même si plusieurs auteurs ont traité ledit phénomène, il faut noter qu’il reste toujours incompréhensible pour la plupart de Rwandais ou d’expatriés qui s’intéressent à l’histoire socio-politique du Rwanda.
La « multiethnicité des clans » renvoie à l’idée qu’au Rwanda, un seul clan peut être composé aussi bien d’« Abahutu », d’« Abatwa » que d’«Abatutsi ». Si je reprends ici cette expression ou cet adjectif « ethnique », cela ne signifie pas que je considère des appellations « hutu », « twa » et « tutsi » comme des « ethnies ». Ce positionement trouve ses raisons d’être dans les définitions que différents chercheurs réservent à ce mot « ethnie ». En effet, citant la définition donnée par P. Bonté et M. Izard, A. Nyagahene (1997, p.194) note :
« dans l’usage scientifique courant, le terme ‘ethnie’ désigne un ensemble linguistique, culturel et territorial d’une certaine taille, le terme de tribu étant généralement réservé à des groupes de plus faible dimension… »
Compte tenu de cette définition que A.Nyagahene (1997,p.195) place dans « une approche ‘substantiviste’ et ‘réifiante’, qui fait de l’ethnie une entité permanente », il est difficilement acceptable d’attribuer le concept d’ethnie aux trois groupes « Abahutu », « Abatwa » et « Abatutsi » ; on est plutôt porté à dire que les Rwandais constituent une seule ethnie composée de « Abahutu », de d’« Abatwa » et d’«Abatutsi ». On arrive à ce même constat quant on place ledit concept « dans une perspective historique, dynamique et interactionnelle… ». Les tenants de ce courant considèrent l’ethnie comme
« une ‘catégorie d’ascription’ dont la continuité dépend d’une codification constamment renouvelée des différences culturelles entre groupes humains en interaction. Plus récemment encore, toute une série de chercheurs africanistes, approfondissant cette dimension historique, ont pu attester comment les ethnies actuelles ne sont que le resultat d’une transformation et d’un remodelage effectués, à partir des éléments traditionnels, par les forces coloniales pour les simples besoins de leur cause… » (Antoine Nyagahene, 1997, p.196)
Rapportant les propos de J. L. Amselle, E. M’Bokolo, J.-P. Chrétien ou G. Prunier, Antoine Nyagahene (ibidem) écrit que « …les nouvelles terminologies correspondaient aux exigences d’encadrement administratif et idéologique de la colonisation ; il fallait organiser plus logiquement les populations conquises, ce qui aboutit à les fractionner et à les enfermer dans de nouvelles définitions ethniques désormais univoques et qui n’avaient plus rien à voir avec la situation d’avant …» Cet enfermement des populations, J.-L. Galabert (2012, p.158) parle quant à lui d’assignation, dans des catégories sociales créées ou pré-existantes a certainement caractérisé l’époque coloniale et a contribué à l’ethnisation des sociétés colonisées.
Le Rwanda n’a pas échappé à la règle et il faut dire que cet enfermement conduisant à l’ethnisation de l’époque coloniale était le prolongement de celui de l’époque précoloniale que les officiels de la dynastie « sindi-nyiginya » entretenaient sur le territoire occupé par le Rwanda actuel. Dans les deux cas, l’enfermement était nourri par différentes idéologies (naturaliste, hamitique…) transmises à travers des textes officiels, poèmes, proverbes, contes…
Toutefois, aucun de ces deux processus d’ethnisation (précolonial et colonial) n’est parvenu à faire des « Abahutu », « Abatwa » et « Abatutsi » trois « ethnies » différentes. Les trois groupes sont restés unis, culturellement, linquistiquement et ont gardé les mêmes mœurs ainsi que les mêmes croyances religieuses. Et puis, « l’interpénétration sur le plan de l’espace (distribution inextricable, enchevêtrement sur un même sol et même territoire ; habitat dispersé) » (A. Nyagahene, 1997, p.193) est restée vivace. De par toutes ces précédentes considérations, comme je l’ai mentionné plus haut, il me paraît inapproprié d’appliquer aux appellations « hutu », « twa » et « tutsi » le concept d’« ethnie ». C’est donc par souci de présenter les citations tirées des sources consultées que je reprends ici l’expression « multiethnicité des clans » ou alors l’adjectif « ethnique ».
Dans son livre précité, A. Nyagahene (1997, p.193), est revenu sur ce phénomène et a proposé une nouvelle démarche pour faciliter sa compréhension. Il s’agit de se défaire
« des anciennes idées évolutionnistes » qui « ont souvent considéré les différents échelons des groupes familiaux au cours de leur évolution comme ayant découlé formellemnet et automatiquement les uns des autres, les familles (restreintes ou étendues) se groupant pour donner naissance aux lignages (mineurs et majeurs), les lignages évoluant pour former des sous-clans et des clans, et enfin ces derniers évoluant eux-mêmes, vers un échelon supérieur qui est l’ethnie, toujours selon le schéma unilinéaire physiologique de cansanguinité parentale. Or…si même ces phénomènes ont joué, ils ne furent jamais, et cela à tous les niveaux, ni nécessaires ni déterminants. D’autres facteurs étrangers à la communauté du sang ou des ancêtres biologiques, liés notamment …à l’espace, à la conjoncture économique ou socio-politique, s’y sont rajoutés et ont également joué une importance considérable. Dès lors quand on met en ligne de compte ces considérations, il n’est plus étonnant de rencontrer des Bahutu, des Batutsi et des Batwa, considérés pourtant comme faisant partie des entités ethniques différentes, au sein des mêmes clans et des mêmes lignages. Il devient même possible de comprendre leur interpénétration sur le plan de l’espace… ».
Il faut changer également la procédure d’approche qui consiste à « ethniser » déjà dès le départ les clans. Les adeptes de cette approche partent de la répartition des « Abahutu », « Abatutsi » et « Abatwa » dans les clans pour considérer ceux ayant le plus grand nombre de hutu comme d’origine hutu et ceux possédant un grand nombre de tutsi comme d’origine tutsi. Ils expliquent la présence des Abahutu dans les clans d’origine tutsi et des Abatutsi dans les clans d’origine hutu surtout par les relations matrimoniales (régulières et irrégulières), le système de clientèle Ubuhake, les adoptions et assimilations et dans une certaine mesure par la mobilité spatiale et la toponymie des royaumes.
Tous ces derniers actes socio-politiques ont certainement contribué d’une façon ou d’une autre à la diversification des membres des clans. Ces actes socio-politiques pris comme déclencheurs sont nombreux et comme le note Marcel d’Hertefelt (cité par A. Nyagahene, 1997, p.220) « ne s’excluent pas mais ils sont complémentaires… ».
Cependant, Antoine Nyagahene qui a fait des recherches sur le terrain a rencontré des cas que lesdits actes n’expliquaient pas. Ceci l’a poussé à rechercher d’autres raisons explicatives en s’appuyant, non seulement sur le contenu même des clans, mais aussi sur leur mobilité dans l’espace.
Il a établi que l’insolubilité du phénomène de « multiethnicité des clans » était due au fait qu’il était mal posé. Les clans ne sont pas des créations des groupes Abahutu, Abatutsi et Abatwa dont ils sont antérieures. L’origine « ethnique » initiale des clans avancée par bon nombre d’anciens ethno-historiens n’est pas corroborée par les recherches sur le terrain réalisé par Antoine Nyagahene qui décrit comment les membres d’un même clan interrogés, s’attribuaient telle ou telle origine. Parlant des Abasindi, il écrit :
« …Là où il y a une bonne concentration de Batutsi Basindi, à Gitarama par exemple, les informateurs disent que ce clan de Basindi est d’origine tutsi, mais ceux de Byumba plus au nord, diront que ce même clan est plutôt d’origine Hutu parce que là la grande majorité des Basindi sont hutu. La même chose pour les Banyiginya, les bega, les Bagesera, les Basinga, les Batsobe, etc. …Tout dépendait de la région étudiée et des informateurs interrogés… » (Antoine Nyagahene, 1997, p.232)
L’origine « ethnique » inititiale des clans n’est pas donc fondée sur l’objectivité historique ; ce qui fait qu’elle ne peut pas servir de point de part vers la recherche de solution au phénomène de « multiethnicité des clans ». Toujours dans le souci de rechercher des hypothèses plus objectives, Antoine Nyagahene (1997, p.233) a analysé ses
« …données jusqu’au niveau des lignages et des familles pour observer leur distribution géographique ainsi que le processus de leur expansion depuis le lieu de départ supposé … jusqu’à l’arrivée dans leur résidence actuelle… »
La question posée était surtout de savoir comment les clans ou les lignages s’identifiaient lors de leur installation sur le territoire rwandais.
De par les informations reçues, il y a lieu de noter que pour les clans qui sont venus et qui se sont établis sur le territoire rwandais en provenance des contrées situées en dehors des limites que couvrent actuellement ledit territoire, ils y sont arrivés en n’étant ni hutu, ni tutsi, ni twa. C’est sur ce territoire (et sur celui du Burundi) que les clans et les lignages ont connu ces appellations qui, probablement sont apparues longtemps après l’installation de ceux-ci.
Cette assertion est en conformité avec les résultats des recherches qui ont été faites sur le système clanique et « ethnique » dans la zone interlacustre par Antoine Nyagahene (1997, p.235).:
« …le système clanique… constitue plutôt un phénomène régional (= région des Grands Lacs). Il se retrouve, non seulement au Rwanda, mais aussi dans le Bunyoro, l’Ankole, le Ndorwa, le Karagwe-Buhaya, le Buha, le Burundi, le Bushi, le Buhavu etc., régions dans lesquelles la plupart des groupes claniques rwandais ont pérégriné avant de se retrouver dans leur résidence actuelle. Par contre, le système ethnique tel qu’on le trouve au Rwanda, consistant en un ‘tryptique’ Hutu-Tutsi-Twa ne se rencontre qu’au Rwanda exclusivement (et au Burundi). C’est un phénomène purement rwandais (phénomène partagé avec le Burundi)… Ces clans rwandais, à leur arrivée, ne connaissaient pas du tout eux-mêmes le système ethnique. En d’autres mots, ils sont arrivés –du moins pour ceux formés à l’extérieur de l’espace actuellement appelé Rwanda- en tant que Abasindi, Abaha, Abega, Abasita, etc. et non en tant que Abahutu, Abatutsi ou Abatwa »
Antoine Nyagahene ( 1997, p.236) aboutit à la conclusion suivante :
« …Dans l’explication du caractère multiethnique des clans rwandais, il ne serait ainsi plus question de se demander si tel groupe ou telle famille d’Abagesera, d’Abazigaba, d’Abasindi par exemple était au départ Hutu, Tutsi ou Twa puisque la réalité clanique est plutôt première sur la réalité ethnique… »
Comment alors expliquer le caractère « multiethnique des clans » rwandais ?
A une époque donnée du processus de formation du peuplement rwandais, … les clans se sont formés et ont évolué en dehors du contexte ethnique… et ce fut alors plus tard que les diverses ‘ethnies’ Hutu-Tutsi- Twa ont progressivement vu le jour. Ainsi, au sein des clans tels que Abasinga, Abasindi, Abanyiginya, Abega, etc. quelques groupes se sont progressivement individualisés et identifiés -ou leurs voisins les ont identifiés- comme Hutu-Tutsi ou Twa selon les mécanismes dynamiques en jeu dans ces sociétés … qui étaient sans doute en relation avec les structures économiques (agriculture, pastoralisme, chasse, pêche, forge, professions magico-religieuses…), matrimoniales, socio-politiques, etc. A cela, il faut ajouter d’autres événements naturels qui n’ont pas manqué de jouer leur influence comme les famines, les guerres, les conflits inter ou intra-claniques, etc. » (Antoine Nyagahene, 1997,p.236 )
De ce qui précède, il convient de noter que les appellations « tutsi », « hutu », « twa » ont trouvé sur place des subdivisions claniques comme Abasindi, Abazigaba, Abasinga, Abagesera, Abacyaba, Abakono, Ababanda, etc. au sein desquels des groupes spécialisés dans telle ou telle activité s’étaient déjà formés. Comme ces nouvelles appellations représentaient des catégories sociales ou des classes sociales dans l’organisation sociopolitique, les membres des clans se sont retrouvés répartis dans ces nouvelles catégories suivant les activités qu’ils accomplissaient.
Ceci expliquerait la présence dans un même clan des trois catégories sociales (l’on a un umusindi w’umututsi, un umusindi w’umuhutu et un umusindi w’umutwa). Les clans sont antérieurs à ces trois catégories, ce qui peut expliquer aussi la primauté sociale dont ils ont continué de jouir dans la vie quotidienne du Rwandais par rapport aux appellations « tutsi », « hutu », « twa ».
De ce qui précède, il convient de conclure que Abatwa, Abatutsi et Abahutu n’ont pas constitué l’ensemble d’Abanyarwanda ; c’est plutôt à partir de cet ensemble déjà constitué de clans ou de lignages qu’ils se sont formés.
Bonjour!
Malgrè les explications de MUSABYIMANA et de NDANGALI je reste toujours sur ma faim! en 2002 quelqu’un m’a présenté un Tutsi du clan des Ababanda , moi qui avait toujours cru que les Ababanda sont des Hutu.Il faut se rappeler que les clans ont des totems, on peut donc se retrouver sous un meme totem sans etre de la meme éthnie! pour moi les éthnies existent avant les clans.
Bonjour,Evidemment, ma lecture est différente sur ces questions! Lire mes écrits entre autre: les Rwandais et leurs origines ethnisées:
http://africultures.com/les-rwandais-et-leurs-origines-ethnisees-11664/
Ceux qui disent que parler les ethnies au Rwanda c’est tomber dans un piège, c’est quel piège. Celui qui veut simuler son ethnie est celui qui tend piège. Les Tutsi ont deux clans seulement: Abanyiginya et Abega. Les autres clans ils profitaient là où ils avaient conquis. Pourquoi ils disent qu’ils sont descendant de Gihanga et aucune lignée de Gihanga dans leur ethnie? Quant aux Hutu Nyiginya et Abega là, ce sont eux qui ont fait les premiers mariage avec les Tutsikazi. Et pour consideration il fallait se distinguer de Hutu.
Bonjour!
Merci Gaspard Musabyimana pour ces éclaircissements.
Cependant, mes recherches m’ont permis d’aller plus loin à ce sujet.
En effet, les clans sont nombreux et ils ont été formés à partir des ethnies qui ont toujours été trois depuis que le Tutsi est arrivé pour se joindre au Twa et au Hutu.
Avant l’arrivée du Tutsi de Gasabo (qui faisait croire être descendu du ciel), les clans existaient et regroupaient les Hutu, les Twa et les tout premiers Tutsi . Ce Tutsi de Gasabo s’est servi de leur modèle pour gagner ses conquêtes en liquidant les rois Hutu. Les clans sont donc des groupes sociaux.
Alors que les clans sont des groupes sociaux, les ethnies sont données par les pères et elles sont perpétuées par des lignages mineur et puis, majeur.
Les clans ne peuvent donc pas être antérieurs aux ethnies car on ne regroupe pas ce qui n’existe pas. C’est-à-dire que pour se regrouper, il faut d’abord être né.
Or, on naît Hutu, Tutsi ou Twa. Les mélanges survenus plus tard doivent être traités dans le cadre des choix des groupes et de l’identification de ceux-ci.
Dans les temps les plus reculés, les clans étaient d’une importance capitale notamment pour s’assurer la défense ou conquérir des contrées. Une seule ethnie ne pouvait y arriver sauf dans des cas rares où l’adversaire était faible ou que le lignage majeur était devenu important en nombre.
Voilà pourquoi les clans n’ont plus de valeurs actuellement et qu’ils ont été remplacés par les partis politiques.
Certains autres chercheurs ont déjà trouvé, à juste titre, que « ubwoko » n’a pas d’équivalent en français où il est traduit par « ethnie, clan, race, sorte, espèce, genre, catégorie, type, groupe… »
Le terme rwandais « ubwoko » est donc polysémique et les Rwandais savent ce qu’il signifie dans chaque contexte où il est utilisé par un locuteur maîtrisant le kinyarwanda.
Cependant, pour des besoins d’analyse scientifique de la société rwandaise, il est nécessaire de procéder à une certaine lexicologie et placer « ubwoko » dans le recueil ad hoc « Urutonde », tenu au Rwanda au Ministère de l’enseignement primaire.
L’enregistrement polysémique de « ubwoko » permettrait d’éviter que certains politiciens continuent de mal employer ce terme dans leurs intérêts pour éclipser la question ethnique qui gangrène la société rwandaise depuis plus de 900 ans.
Ainsi, nous retiendrons que chaque enfant rwandais naît avec son « ethnie » : Hutu, Tutsi ou Twa. Ethnie est lexicalement « ubwoko ».
Les membres d’une ethnie regroupés aux fins définies forment un « clan » sous l’égide mémoriel d’un ancêtre éponyme souvent fictif.
Un clan est lexicalement « ibumbabwoko » car il « regroupe » les membres de différentes ethnies. Ex. Les « groupes » Abasinga, Abagesera, Abega, Abanyiginya, Abungura…forment chacun « ibumbabwoko » car on y trouve des Hutu, des Tutsi et des Twa. Au pluriel, « les clans » sont donc « amabumbabwoko » et ils ne sont plus dynamiques au Rwanda où ils fonctionnaient dans le temps comme des partis politiques actuels.
En effet et à titre d’exemple, le FPR regroupe certains Hutu, Tutsi et Twa. Si on revenait aux temps reculés de l’histoire du Rwanda, le FPR serait « ibumbabwoko ». Green Party aussi ou l’ex Mouvement Démocratique Républicain. Les partis politiques fonctionnent donc comme des « clans » du Rwanda ancien « amabumbabwoko ».
L’on dira donc que tel est un Hutu du clan Abanyinginya (ibumbamoko ry’Abanyiginya) comme tel Tutsi ou Twa. C’est un Hutu du clan nyiginya (Ni Umuhutu w’umunyiginya). C’est un Twa du clan singa (Ni Umutwa w’Umusinga). Le président Kagame est un Tutsi du clan eéga (Perezida Kagame ni Umututsi w’Umwega ». Connaître cette distinction ethno-sociologique et l’utiliser en respectant l’autre ne devrait entraîner aucune sanction pénale car il s’agit d’une vérité aussi sûre que le jour et la nuit.
D’ailleurs, le genre humain est lui-même réparti en « races » qui se placent au-dessus « des ethnies ». Lexicalement, « la race » est « isumbabwoko ». Ex. Abirabura (Les Noirs), Abera (Les Blancs) … forment des races humaines. Comme les ethnies et les clans, cette distinction exige le respect et la justice.
En effet, il faut noter qu’en droit, cette différentiation d’ordre scientifique ou terminologique n’autorise personne à exercer une quelconque ségrégation ou discrimination sur autrui en minimisant son essence humaine ou en arguant qu’il est autre à cause de ses aspects corporels, de son ethnie, de son clan ou de sa race.